
“Records” : les Amazones de Mathilde Monnier nous rappellent la liberté
Jusqu’au 15 janvier, Mathilde Monnier présente “Records” au Théâtre National de la Danse Chaillot. Pour la première, elle remplaçait au pied levé Lisane Goodhue, l’une de ses 6 danseuses…
Désormais installée dans le Tiers-Lieu La Halle Tropisme à Montpellier après avoir longtemps innové à la tête du Centre Chorégraphique National dans cette ville puis dirigé le Centre National de la Danse à pantin, Mathilde Monnier propose à Chaillot une pièce d’une heure née au lendemain du confinement et qui met en scène les corps de 6 femmes dans un décor minimaliste, pour mieux enregistrer les gestes individuels de la liberté.
Un tableau minimaliste
Le début de records est une apparition : sol blanc, mur au fond à peine moucheté de nuages projetés, six corps de femmes apparaissent, indomptables, seins nus au-dessus de blue-jeans et baskets. Mathilde Monnier est parmi elles et, dans une première partie, les corps s’exposent, lentement, chacun exprimant la pleine personnalité de chaque danseuse, avec pourtant l’idée-force d’une fresque commune… Quand la voix de la soprano Barbara Hannigan – elle a inspiré la chorégraphe dans Le Grand Macabre de Ligeti pour débuter cette création – nous sommes déjà familier de chaque énergie et de chaque danseuse et le puzzle semble se compléter…
“Records”, morcellement et liberté
C’est donc dans l’éclat et dans la surprise que la cavalcade des amazones commence. Le mur du fond devient blanc, comme un autre plafond et les six corps viennent s’y confronter et y taper un rythme qui enregistre la révolte face aux limites imposées à nos libertés. Les pas sont impressionnants, les guiboles tapent fort, avec plus d’énergie que de rage contre ce mur qui devient dialectiquement libérateur.
S’ensuit une séquence parlée-dansée magnifique où chaque danseuse exprime sa rage de vivre – par et pour le corps : elles ont quelque chose des héroïnes de manga dans leurs onomatopées qui accompagnent des gestes pointant souvent vers les arts martiaux. Il y a aussi quelque chose de la liberté des années 1970 qui frappe l’œil et l’esprit, quelque chose du “Comic Strip” de Gainsbourg ou de la rage de Niki de Saint Phalle chez ces Amazones à deux seins, pour un brin de nostalgie créative vers les années vinyles et peut-être MLF, qui viennent faire tourner les “records” bien au-delà des paroles soi-disant expertes en covid qui nous emprisonnent depuis maintenant deux ans. Inarrêtables, les danseuses continuent à former un tout d’individualités explosives et la nuit tombe sur les corps encore et plus que jamais en mouvements, suggérant que si nous quittons la salle, elles ne s’arrêteront pas.
Nous quittons Chaillot reconnaissants d’avoir pu nous aussi à notre manière taper sur le mur du fond et aussi d’avoir vu Mathilde Monnier sur scène, parmi ses danseuses, non seulement pour ses mouvements, mais aussi pour la connivence superbe qui s’est exposée à nous, elle aussi fracassante et libératrice…
Mathilde Monnier • Records from Théâtre de Chaillot on Vimeo.
Mathilde Monnier, Records, avec Sophie Demeyer, Lucia Garcia Pulles, Lisanne Goodhue*, I-Fang Lin, Carolina Passos Sousa, Florencia Vecino *[Lisanne Goodhue sera remplacée par Mathilde Monnier pour les séances des 6, 7 et 8 janvier], 1h ; scénographie et images : Jocelyn Cottencin ; lumières : Eric Wurtz ; son : Olivier Renouf ; costumes : Laurence Alquier ; dramaturgie : Stéphane Bouquet ; extraits musicaux : Luigi Nono, The Comet is Coming ; construction décor atelier : Martine Andrée ; travail de voix : Violeta Rodriguez ; régie générale : Emmanuel Fornès ; régie son : Nicolas Houssin.
visuel (c) Marc Coudrais