Danse
<em>Exquises</em> de Bonnéry et Deneulin : les sens en éveil

Exquises de Bonnéry et Deneulin : les sens en éveil

18 October 2012 | PAR Géraldine Bretault

Drôle de rencontre au théâtre de Chaillot, à l’occasion d’un « trio gastronomique », qui prend la forme d’une rencontre savamment orchestrée entre la chorégraphie, la cuisine et la mise en scène plasticienne. A découvrir, pour encore deux représentations.

Dans le grand foyer du théâtre, face à la tour Eiffel luisant dans la nuit, nous attendait une véritable table de banquet rectangulaire, entourée de chaises, devant des assiettes en grès garnies d’une mise en appétit : « Terrine rebondissante ». Le silence est de mise, tandis que des officiants vêtus de noir nous invitent à prendre place. Dès cet instant, une atmosphère étrange s’installe, de celle de ces réunions de gourmets où l’on déguste des mets interdits dans des caves retirées… Puis une ambiance sonore vient peu à peu recouvrir les chuchotements qui s’étaient élevés. Dans la pénombre, un homme de stature généreuse s’affaire paisiblement. Deux jeunes femmes diaphanes s’avancent au coeur du dispositif, l’éclairage se concentre sur les pas qu’elles commencent à esquisser

Peu à peu, tandis que nous dégustons le contenu de notre assiette d’une main, nous oublions le menu distribué pour nous laisser absorber par ce qui se joue sous nos yeux, à portée de main. Car nous ne sommes pas au cabaret, ici, mais bien à un spectacle chorégraphique imaginé par Annabelle Bonnéry,  ancienne danseuse chez Gallotta et Maguy Marin entre autres, avec la complicité de François Deneulin, artiste plasticien qui s’est chargé de la scénographie. L’enjeu ? Réaliser un spectacle sur la gastronomie, avec l’aide du cuisinier Thierry Moyne, dans l’espoir de susciter des résonances entre les sens. Comment dissiper les frontières entre les arts d’une part, et entre les danseuses et le public d’autre part ? En mêlant les deux. Annabelle Bonnéry et Célia Gondol assurent le service autant que la chorégraphie, avec espièglerie et une distance amusée.

Multipliant les allées et venues, les changements de rythme et les points de rencontre, elles avancent et se dérobent, insaisissables, dans un entre-deux entre danse et pantomime toujours intrigant. Leurs voix fusent, imitant les ordres péremptoires criés dans toutes les cuisines du monde par les serveurs surmenés, tandis qu’elles servent et desservent des plateaux que le cuisinier emplit lestement de verrines. Côté convives, on chuchote avec son voisin, avec amusement, hésitant à approcher les lèvres du verre de vin servi par les deux danseuses. Le jeu se poursuit et s’intensifie, lorsque les gestes des serveuses-danseuses se délient, la table devenant une seconde scène où leur souffle nous frôle, quand ce n’est pas leur regard qui vient se planter dans le nôtre.

Certes, Thierry Moyne n’a sans doute pas disposé de ses habituels moyens en cuisine, et il se prête au jeu avec une bonhommie affable, mais force est de reconnaître que sa sélection de vins d’Arbois est plus intéressante que ce qu’il réussit à mettre en forme pour la poignée de convives rassemblés, dans le temps imparti. Mais l’essentiel se joue surtout dans l’espace intérieur de chacun, entre les hésitations et les contradictions qui nous assaillent. Car depuis que le roi et sa cour ont disparu, la bienséance veut qu’on évite de mastiquer ou de déglutir lorsque l’on accorde à quelqu’un toute son attention, de surcroît face à un artiste qui s’expose sous nos yeux. L’expérience est collective, à en juger par les regards qui se jaugent à l’arrivée de chaque nouveau mets et les bouches qui mâchent le plus discrètement possible.

S’il est donc difficile de connaître une véritable fusion des papilles avec les pupilles, la rencontre avec la danse a pleinement lieu, et sa capacité à définir en quelques séquences de pas un vocabulaire apte à communiquer et à toucher les sensibilités n’en ressort que plus pleinement. Une belle idée pour faire découvrir la danse contemporaine à vos gourmets favoris.

 

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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