Danse élargie : Hexalogue chorégraphique
C’est à juste titre que le théâtre de la Ville pour présenter la suite du concours « Danse élargie », qu’il organise chaque année – désormais en partenariat avec la Corée du Sud – emploie le terme « révélation » afin d’introduire tous les créateurs qu’il a récompensés. C’en est une ! Il est bien question durant cette semaine d’une mise en lumière de danseurs prometteurs, et d’un éclaircissement apporté aux questions soulevées par la complexe et bigarrée scène chorégraphique actuelle.
Par Timothée GAYDON
Des six propositions courtes offertes en ouverture d’un programme chargé, on retiendra de ces formes fragmentaires, purs éclats de gestes, de forces et d’énergie (développées en programme long pour certaines dans les jours suivants), leur sémillance et un désir commun de donner à voir un territoire dansé vierge de toute pondération, de tout ronronnement, et autres vices qu’il s’agit bien d’exclure de la scène en 2017.
Comment donc répondre à cette interrogation : que nous offre le contemporain ? Aussi hardi qu’il soit pour nous d’enfiler nos pointes et de nous astreindre à quelques ronds de jambe, il nous est pénible de trouver une réponse satisfaisante et correcte à ce problème posé, bien qu’elle semble essentielle pour enraciner notre expérience du monde dans un récit présent, en train de se faire.
Le rire – vers lequel toujours l’on retourne – est, nous le croyons, la plus belle réponse à cette question et devient l’indice de notre contemporanéité. Ironique, sarcastique, séditieux, jaune, il a tôt fait de traverser le public assistant aux propositions de Mithkal Alzghair ou de Lyon Eun Kwon, entre autres. Rire, en définitive, c’est se dérider, et par extension se déplier, s’ouvrir aux nouvelles formes. Peut-être certains seront-ils paradoxalement, de nouveau, pliés de rire devant le détonant « Printemps pourri » de Gaëtan Bulourde, relecture jouissive, désabusée et hilarante du Sacre de Stravinski. L’incongruité est très certainement l’un des fers de lance de cette édition, et chacun des six spectacles vus sont autant de directives à suivre pour construire le sens de notre « aujourd’hui ».
Autre point commun à toutes ces œuvres, la déconstruction du mythe et du mythologique qui paraît les animer toutes. Le ballet se voit être l’objet d’une dérision pétillante dans Glory de Eun Kwon où l’excellence du danseur devient la condition sine qua non pour échapper au service militaire en Corée, un contrat politique cruel, férocement moqué. Chez Seyoung Jeong, le temps est au renversement de nos postures passives (actants fantomatiques de nos vies que nous sommes parfois) à travers l’exposition sur scène d’objets divers, appartenant à notre quotidien. Des ventilateurs colorés remplacent les danseurs et battent un rythme sur lequel tournoient leurs propres pales. Pour la chorégraphe, il s’agit de passer par là pour réfléchir au concept de deus ex machina qui irrigue notre temps mais si confusément que nous ne le comprenons plus. Entrer dans des intérieurs, retourner aux extérieurs, passer du quotidien à l’extraquotidien, rendre notre monde parfois lisible voilà les tâches auxquelles se confrontent les six ensembles.
Nul ressassement vain du passé, mais plutôt une cadence commune pour voir complètement les danses de notre temps, « Danse élargie » s’inscrit contre un sentiment d’urgence, un besoin de gloutonnerie ; bien au contraire, le concours semble être une mesure juste, intelligente et ingénieuse de tous ces propos et paroles dansés.
Cette 4e édition réussit à nous montrer avec acuité tous ces danseurs, ces créateurs qui œuvrent, et elle répond à l’impérieux besoin d’enregistrer, d’archiver sous des aspects heureux – celui de la représentation notamment – un temps chorégraphique. Le spectateur n’aura jamais plus qu’à ces précieux instants inscrit sa propre vie dans la danse, en se positionnant face à des propositions qui sont autant de temps multiples qui racontent notre présent. Ultime trait saillant de ce programme : la verticalité que l’on retrouve et qu’on lit dans les mains en l’air des danseurs d’Alzghair, dans les sauts de (LA) HORDE, et dans le ballon s’envolant de Deus ex machina. Une seule et belle ligne pour échapper à l’emprise des horizons moribonds, une seule trajectoire pour décoller. Et derrière elle, le saut qui assoit sa dynamique, et sa puissance propre à notre décennie. Clin d’œil du théâtre de la Ville d’entretenir ces sauts qu’on avait pu apercevoir aux Abbesses chez Igor et Moreno dans Idiot-syncrasy en septembre de l’année dernière .
En collectant tous ces collectifs, il est certain que l’envie démesurée de marcher avec des souliers neufs se fasse sentir. Le concours de la 5e édition se déroule du 16 au 18 juin 2018 à l’espace Cardin et nul doute n’est permis quant à notre présence à un événement plus que salutaire pour le monde que nous habitons.
Visuel : (LA) HORDE