Danse
Cinédanse : sereine Palucca

Cinédanse : sereine Palucca

25 June 2021 | PAR Nicolas Villodre

Gret Palucca, danseuse d’expression élève de Mary Wigman, est mise à l’honneur par l’exposition pompidolienne Elles font l’abstraction, avec l’accrochage des photos d’elle prises en 1926 par Charlotte Rudolph et les représentations graphiques qu’en tira Kandinsky.

Palucca, son agent et amant

Grâce à son mari fortuné, Friedrich Bienert, Gret Palucca put créer sa propre école à Dresde, ville ouverte à l’art moderne comme à celui de Terpsichore, où Jaques-Dalcroze avait transféré son école de danse rythmique, où exerça le scénographe Adolphe Appia, où la photographe Genja Jonas avait un studio que récupéra à sa mort Charlotte Rudolph, où enseignait Mary Wigman. Celle-ci n’apprécia pas la concurrence déloyale de son ancienne disciple, dont l’établissement, situé sur la rive gauche de l’Elbe, fort éloigné du sien, était bien plus modeste. L’école de Palucca a survécu aux avatars de l’histoire, aux républiques, aux dictatures, la danseuse ayant su s’adapter aux aléas politiques (elle participa, avec Laban et Wigman à la cérémonie d’ouverture des J.O. berlinois de 36), ayant su ployer sans rompre sous le nazisme (en dissimulant sa judéité jusqu’en 1937) et, après-guerre, sous le communisme.

Par sa belle-mère Ida, mécène et collectionneuse de l’art d’avant-garde que les Nazis déclarèrent en 1937 “dégénéré”, Gret Palucca se lia à l’influent critique Will Grohmann, qui avait entrées et contacts au Bauhaus. Cet intellectuel qui conseillait les Bienert joua auprès d’elle un rôle d’agent, comme l’avait fait, à l’échelle internationale, Sol Hurok pour Mary Wigman. La mensuel de Paul Westheim Das Kunstblatt publia les photos de Rudolph, les dessins de Kandinsky, l’éloge de Palucca par Paul Klee, qui la jugea “sublime” et du théoricien Rudolf Arnheim qui rapprocha son mouvement de la “pureté abstraite”. Les “stickfugures” de Kandinsky rappellent les pétroglyphes cryptés de la nouvelle fantastique de Conan Doyle, Les Hommes dansants (1903) et annoncent le logotype des romans de Leslie Charteris ayant pour héros Simon Templar, The Saint (1928) et du générique de la série d’ITV éponyme (1962-69).

Espagnolade

Le court métrage Serenata (1933), le seul à nous révéler Gret Palucca dansant, retrouvé en Suisse dans les années 80, présenté par Daniel Dobbels à la Biennale de Lyon de 1986, fut tourné à la fin de l’année 1932 au théâtre de Görlitz, près de Dresde, et produit par la Nerthus-Filmgesellschaft. Palucca y démontre la “musicalité incontestable” la caractérisant selon André Levinson, sur “Granada”, la Suite espagnole n°1 d’Isaac Albeniz, qui a pour sous-titre “Serenata”. Dès les années vingt, la chorégraphe avait mis plusieurs morceaux d’Albeniz à son répertoire : Verhalten, Gebunden et Melodie. Le solo Serenata fut repris par Nina Hähnel en 2002 à l’école Palucca de Dresde à l’occasion de la célébration du centenaire de sa naissance de l’artiste.

Palucca est filmée en plan moyen, avec un peu d’air autour. Quelques gros plans furent insérés au montage, d’abord sur les petons nus de la danseuse et, vers la fin du solo, sur le haut du buste. “Granada” est donnée en version orchestrale, les prises de vues ayant été ou pré ou post-synchronisées. Vêtue d’une longue jupe en cotonnade, la poitrine masquée par un bref boléro sans manches, les cheveux coupés net au carré, Palucca se profile, cheminant de jardin à cour, un geste serpentin de la main droite explorant l’espace. Elle suit le tempo d’un pas lent, avec souplesse et grâce; au centre de la scène, elle fait demi-tour, se tourne vers la caméra, s’aide du bras gauche pour pivoter, esquisse une révérence, lève les bras au ciel, fléchit les genoux, se tourne de 3/4, recule, ploie le corps en arrière… Cette suite gestuelle minimale est bissée. L’enchaînement improbable n’a rien d’impromptu : il comprend une difficulté techniques – un pont arrière suivi d’un redressement en douceur. Les yeux fixent l’horizon, un léger sourire s’amorce, le visage de Palucca s’illumine.

Visuel : Gret Palucca, photo de Genja Jonas, 1926.

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Nicolas Villodre

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