“Elles font l’abstraction” au Centre Pompidou
Karolina Lewandowska et Christine Macel ont conçu la nouvelle exposition du Centre Pompidou, Elles font l’abstraction, visible depuis quelques jours au 6e étage du centre, jusqu’au mois d’août.
Si l’abstraction est un mot féminin, tel n’est le cas ni des ismes l’ayant délimitée (suprématisme, néoplasticisme, constructivisme, rayonnisme, orphisme, simultanéisme, vorticisme, etc.) ni des créateurs consacrés par l’histoire de l’art. Après le Dictionnaire universel des créatrices (2013), édité par Des femmes, contribution au « matrimoine culturel mondial » auquel nous associa la regrettée Marie-Françoise Christout, il était normal qu’une institution muséale comme Beaubourg explore ce champ, y compris de manière parfois quelque peu extensive. Il ne s’agit pas, en effet, dans le cas présent, de simples monographies valorisant telle ou telle figure féminine de l’art (on pense, par exemple, à Niki de Saint Phalle que le MNAM célébra dès son ouverture ou à Sophie Taeuber-Arp qui y a été plusieurs fois exposée), mais de montrer et de démontrer, exemple ou preuves à l’appui, que les femmes ont été partie prenante de l’aventure de l’art abstrait, comme l’exposition milanaise L’Altra metà dell’avanguardia l’avait fait en 1980 pour ce qui est de l’avant-garde en général.
Cette manifestation est positive, qui n’insiste pas outre mesure sur les mécanismes d’« l’invisibilisation » de l’ « apport » féminin – par exemple en culpabilisant les critiques, galeristes, collectionneurs taxables de machisme ou prisonniers des préjugés de leur temps – mais préfère mettre en lumière des œuvres rares, voire inédites, de plasticiennes déjà reconnues ainsi que de parier sur des artistes, comme on dit, « émergeantes ». Ce dernier aspect nous touche sans doute moins, parce que, d’une part, les pionnières donnent l’impression d’avoir tout défriché. D’autre part, parce que nombre de créations accrochées traversent avec bonheur le temps, sont en parfait état de conservation, ont un éclat et un air de modernité qui n’a rien à envier aux productions de leurs collègues masculins, des compagnons et des époux. Le parti pris d’inclure l’art décoratif et l’art appliqué affaiblit selon nous la démonstration en reconduisant le cliché de la femme et du foyer, réduite au rôle de Pénélope. Par moments, on sort du sujet Elles font l’abstraction pour illustrer celui d’Elles font dans l’abstraction. Les puristes pointeront aussi quelque absence regrettable (Lucia Moholy, Ré Soupault, par exemple).
Ceci dit, nous avons pris grand plaisir à découvrir des tableaux de la Suédoise Hilma af Klint, qui nous est même présentée comme une devancière des tenants du non figuratif (Kupka, Malévitch, Kandinsky, etc.) qui a « peint ses premières œuvres abstraites dès 1906, avec la série Primordial Chaos. » Les griffonnages médiumniques de Georgiana Houghton, au XIXe siècle, relèvent du dessin compulsif annonçant l’art brut plutôt que l’abstrait. En revanche, les toiles de la vorticiste anglaise Helen Saunders peintes au milieu des années 1910 méritent l’attention, en dépit d’une certaine raideur, ne serait-ce que par la fraîcheur des teintes, la capture du geste, la sûreté de la composition. Une des plus salles les plus réussies est pour nous l’espace inaugural, qui fait le lien avec l’exposition Danser sa vie (2012) avec des images de Loïe Fuller, Valentine de Saint-Point, Giannina Censi et Gret Palucca – dont l’ami Will Grohmann parvint à obtenir un texte la glorifiant signé Paul Klee et des dessins schématisant ses danses façon test cognitifs exécutés par Kandinsky. Deux autres, qui valent à elles seules le détour sont vouées aux artistes russes et/ou soviétiques : Natalia Gontcharova, Lioubov Popova, Varvara Stepanova, Alexandra Exter.
Centre Pompidou jusqu’au 23 août 2021.
Visuel (c) Liubov Popova, Painterly Architectonic, 1917 New York, Museum of Modern Art © 2021. Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence.