Cinédanse : le musical selon Émile Vuillermoz
Le récent remake de West Side Story nous incite à aller voir du côté des origines du film musical. La série de Cinéphonies imaginées par le musicologue cinéphile Émile Vuillermoz mérite toute notre attention. Et, pour ce qui concerne la danse, voire le multimédia, La Jeune fille au jardin (1936), réalisée par le cinéaste d’avant-garde Dimitri Kirsanoff mettant en valeur la magnifique interprète Clotilde Sakharoff.
Cinéphonie
Émile Vuillermoz est un spécialiste de la musique et un érudit qui s’intéressa au 7e Art (pour reprendre l’expression de Ricciotto Canudo) dès le milieu des années dix, au point d’en devenir un des premiers critiques avec Lucien Wahl et Louis Delluc. Comme nombre de figures de la vie artistique de son temps, il se compromit sous l’Occupation. Il fut non seulement l’auteur d’un livret de ballet pour Serge Lifar (La princesse au jardin, un conte chorégraphique créé à l’Opéra le 2 juillet 1941, repris quinze fois jusqu’au 14 juillet 1943) mais aussi de la préface de l’ouvrage Et s’ils débarquaient ? (1944) de Philippe Henriot. En 1933, il consacra un livre aux Sakharoff, un couple de danseurs modernes composé du Russe Alexandre Sakharoff et de l’Allemande Clotilde von Derp.
De 1935 à 1940, il supervisa pour la Compagnie des grands artistes internationaux fondée à Lyon par le violoniste Jacques Thibaud plusieurs courts métrages, véritables ancêtres du “clip musical” nommés cinéphonies : Les Berceaux (1935) de Dimitri Kirsanof, sur la musique de Gabriel Fauré, avec la cantatrice Ninon Vallin; Ave Maria (1936) de Max Ophuls, sur la mélodie de Schubert, avec Elisabeth Schumann; La Fontaine d’Aréthuse (1935) de Dimitri Kirsanoff, sur une musique de Karol Szymanowski, avec Jacques Thibaud; La Valse brillante en la bémol (1936) de Max Ophuls, sur la musique de Chopin, avec le pianiste Alexandre Braïlowsky; Children’s Corner (1936) de Marcel L’Herbier, sur les pièces de Debussy, avec le pianiste Alfred Cortot; Malagueña (1940) réalisateur inconnu, sur la musique d’Albéniz, avec Jacques Thibaud.
La Jeune fille au jardin
La Jeune fille au jardin (1936), réalisé par Dimitri Kirsanoff sur sur la composition de Federico Mompou Les jeunes filles au jardin jouée au piano par Magda Tagliaferro, contient un beau solo de Clotilde Sakharoff, vêtue d’une robe virginale légère, les pieds étant nus. Elle use de phrases chorégraphiques en boucle qu’elle expose avec une extrême délicatesse. La variation comprend une partie au sol. La danseuse esquisse des pas néoclassiques qu’elle combine avec une gestuelle abstraite qui fait songer au style d’une Gret Palucca. Le générique précise que le chef opérateur n’est autre que Boris Kaufmann, le frère de Dziga Vertov et que le procédé sonore est celui de Western Electric, celui des studios Paramount (dans leur succursale de Joinville).
Après une séquence présentant Magda Taglioferro en robe de soirée exposant le thème musical sur un piano à queue Gaveau, débute la cinédanse proprement dite, une variation de danse libre captée en six plans de longueur inégale rythmée par des surimpressions de vues fixes et également de mouvements de caméra. Le solo est pris en studio devant et sur fonds sombres facilitant l’insertion d’images florales et de trames abstraites tenant lieu de décor ou, plutôt, renouvelant celui-ci non seulement par la moyen technique de la transparence connue depuis Edison, Dickson et Méliès mais par le recours au montage rapide et contrasté de motifs enregistrés sous des angles de caméra très différents . Cette danse n’est possible qu’au ou par le film. La danseuse en apesanteur est devenue immatérielle.
Visuel : photogramme du film La Jeune fille au jardin (1936).
