Danse
<em>Cesena</em> : sacrée Anne Teresa De Keersmaeker

Cesena : sacrée Anne Teresa De Keersmaeker

11 May 2012 | PAR Géraldine Bretault

Certes, le Théâtre de la Ville n’est en rien aussi majestueux que la Cour d’honneur du Palais des papes au petit matin… Et pourtant, c’est le défi qu’entend relever  « Anne Teresa » avec Rosas et Graindelavoix : célébrer l’avènement du jour sur scène.

Lorsque la pièce débute, un unique projecteur de faible intensité éclaire le cercle de craie tracé au centre de la scène, figurant la pénombre nocturne. Ce n’est que très progressivement que l’intensité augmentera, figurant ainsi avec les moyens du bord le lever du jour. Du décor d’Avignon à la scène d’un théâtre, la pièce Cesena a changé de nature : l’invitation à partager un moment d’exception lancée à Avignon se transmue ici, dans l’extrême dépouillement du plateau débarrassé de tous ses accessoires y compris ses coulisses, en un retour radical aux fondamentaux du spectacle.

Une aridité qui a semblé décourager certains spectateurs tout au long de la représentation, tant la recherche poursuivie par Anne Teresa de Keersmaeker dans le prolongement de la pièce En Atendant exige une intense concentration, de la part des artistes comme du public. Outre les costumes de ville auxquels nous a habitués la chorégraphe (jeans, tabliers ou sweatshirts à capuche pour les hommes, et toujours la petite robe légère et les baskets pour les femmes), ne subsistent que les corps et le chant.

Aboutissement de l’évolution du chant grégorien, l’Ars Subtilior qui s’épanouit au XIVe siècle avait tout pour séduire la chorégraphe, depuis toujours si profondément attachée à souligner les rapports de la danse et de la musique : les chants sont d’une telle complexité rythmique et polyphonique, que seuls des chanteurs aguerris à ce répertoire comme l’ensemble vocal Graindelavoix peuvent les restituer avec précision.

Six chanteurs et treize danseurs évoluent mêlés tout au long de ces deux heures, dans un entrelacement permanent des voix et des corps, aussi fécond et varié que le contrepoint complexe des chants. Pour ceux qui se sont laissé tenter par le voyage, ce retour sur l’histoire de l’Homme à un moment charnière de son histoire se révèle des plus troublants : ce n’est plus l’obscurité médiévale mais ce ne sont pas encore les Lumières. Le jour commence tout juste à se lever. Les corps font bloc, marchent ensemble, mais se désunissent aussi avec violence, lorsqu’il s’agit d’exclure tel paria ou autre pestiféré.

Importance du cercle, de la périphérie, inclusion et exclusion, âpreté des sons, réduits aux nombreuses chutes et aux glissades dans la craie… Les corps en présence sont habités, portés par la beauté des chants qui s’élèvent. En cette époque rude, les contingences impitoyables de l’existence humaine étaient contrebalancées par l’élan de la foi.

 

 

Longtemps réticente à l’idée d’aborder la musique sacrée, Keersmaeker en fait pourtant brillamment ressortir l’essence : plus qu’un instrument de propagande ou de pédagogie à l’image des vitraux, la musique sacrée exprimait avant tout la foi dans l’humanité et son avenir. Si le recours à la nudité est bref chez Keersmaeker – l’impressionnante entrée en scène du premier chanteur -, il est d’ailleurs intéressant de noter la similarité des enjeux entre cette œuvre et la dernière création de Tatiana Julien, La Mort et l’Extase : là aussi, des corps amateurs et professionnels s’entrechoquaient, et confrontaient leurs sonorités à un chant sacré, sans autres artifices scénographiques, afin d’exhumer l’essence du vivant.

 

Visuels : Cesena au Palais des Papes à Avignon © Herman Sorgeloos

 

 


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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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