
“A Sign of love” entre Orient et Occident : Shanghai, ville des mélanges
Voilà vingt-huit ans que le Ballet de Shanghai n’était pas venu à Paris. Cette saison, ils tentent de conquérir le public parisien avec A Sign of love, création de 2006 du français Bertrand d’At, disciple de Maurice Béjart qui avait été invité à Shanghai pour l’occasion.
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Dans une salle peu adaptée à un ballet d’inspiration largement classique – le Palais des Sports de Paris –, et dont le manque d’âme est fort susceptible de déranger, la jeune troupe nous livre un spectacle à l’image de sa ville d’origine. Shanghai a souvent été qualifiée de « plus occidentale des villes asiatiques », et l’époque des années 30 que Bertrand d’At choisit pour cadre de l’histoire inspirée d’In the Mood for love (Wong Kar-Wai) a tout pour séduire le public européen : jazz, guerre et, bien sûr, passions frustrées.
Les danseurs eux aussi incarnent à la perfection cette contradiction interne à leur ville d’origine : la technique de la danse classique est parfaite, les gestes maîtrisés (sans doute trop – on sent la concentration des danseurs), l’émotion, quant à elle, est soigneusement intériorisée. Celle-ci est signifiée, par le biais de gestes caricaturaux (hésitations des amoureux, fausses sorties de scène à foison, mains qui s’effleurent et rougissent de s’être effleurées), mais ne semble pas vécue. En résulte un mélange étrange, cette contradiction voulue qui frustre certainement le spectateur, mais incarne néanmoins la réalité d’une Chine prise entre tradition de retenue orientale et influence jazz occidentale.
Malgré une technique remarquable et des scènes de groupe très bien chorégraphiées, l’on regrette le pittoresque un peu facile des costumes et des décors, ainsi que l’absence – incompréhensible – d’un travail plus poussé de la lumière.
La référence à la légende chinoise du Bouvier et de la Tisserande est sans doute l’une des propositions les plus intéressantes de ce ballet, dont la force et la faiblesse est d’avoir trop voulu jouer des paradoxes d’une ville prise entre deux mondes. Le livret en est d’une assez déconcertant : l’on passe d’un air de jazz à des tonalités asiatiques, en faisant un détour par le répertoire classique. Si la démarche est louable, le résultat ne fait guère sens, et empêche les spectateurs d’être jamais totalement plongés dans l’univers proposé.
L’on saluera toutefois le remarquable travail des danseurs et la maîtrise chorégraphique, particulièrement appréciable dans le pas de deux dans la chambre du second acte, en espérant trouver la semaine prochaine avec La Fille aux cheveux blancs cette émotion que l’on a cherchée, sans grand succès, dans A Sign of love.
Justine Granjard
Visuel © Lunxun Chen