
Son Altesse Björk au Zénith de Paris
Après sa première en 2011 à Manchester, la tournée ‘Biophilia’ – du nom de son dernier opus – a permis à la déesse islandaise de renouer avec son public français pour plusieurs dates. Les représentations, débutées au Cirque en Chantier de Boulogne-Billancourt, viennent de s’achever au Zénith de Paris le 8 mars 2013. Pour l’occasion, la mythique salle parisienne portait son nom mieux que jamais.
Björk s’est depuis quelques années faite plus discrète sur les ondes et dans les médias. Ses trois derniers albums – ‘Medulla’, ‘Volta’ et ‘Biophilia’ – barrés et ultra-expérimentaux, étaient relativement dépourvus de tubes exploitables en radio. L’artiste n’en était pas moins occupée à plancher artistiquement et logistiquement sur le show ‘Biophilia’, un concept de spectacle total et expérimental qui va jusqu’à impliquer les lois de la physique. Malgré des propositions artistiques de plus en plus abstraites et exigeantes, Björk demeure une bête de scène qui continue de rameuter un public étonnamment hétérogène.
Pour ‘Biophilia’, que Björk qualifie volontiers d’opéra, l’artiste a imaginé des instruments hybrides créés sur mesure : un clavecin, un pendule géant, une boîte à musique de 3 mètres de haut – qui ne rentrait pas au Zénith… ‘Biophilia’ reprend les chansons du dernier album éponyme qu’elle parsème de quelques tubes plus anciens (ceux qu’on arrivait à peu près à chantonner) mais trop rares pour les fans de la première heure qui attendent le frisson mythique. Vendredi soir au Zénith, la chanteuse a gratifié son public de ‘Unravel’ de l’album ‘Homogenic’ et de ‘Pagan Poetry’ de l’album ‘Vespertine’, particulièrement appréciés dans la salle. Ce furent sans doute les deux plus beaux moments de la soirée jusqu’au final où la chanteuse mit tout le monde debout avec son hymne ‘Declare Independence’.
L’un des aspects multi-média de ‘Biophilia’ consiste en une scène surmontée d’écrans sur lesquels palpitent des images dont on se demande si elles sont futuristes ou au contraire ultra-datées. Même réflexion pour le choeur de jeunes vestales en robe pailletées années 70 qui dansent de façon plus ou moins chorégraphiée jusqu’à une feinte transe. Hum.
Passons sur le décorum, la technologie ultra-sophistiquée, l’armada de choristes (très douées musicalement au demeurant). Le truc avec Björk, c’est que plus elle s’entoure d’une artillerie moderniste et lourdingue, plus son génie inégalé apparaît dans son plus simple appareil. Le contraste n’en est que plus saisissant. Là où le kitsch pourrait sentir le ringard avec une artiste ayant traversé 4 décennies sans trop de peine, il met au contraire son aspect novateur davantage en valeur. Ce ne sont même pas les idées, la musique ou le look de Björk qui sont géniaux et avant-gardistes, c’est elle-même à l’état brut. L’originalité de sa personnalité et de son art émane par chaque pore de sa peau, par son aura, par sa gestuelle bizarre et captivante. Quel que soit le son qui sorte de sa bouche, sa voix reconnaissable entre mille, échappée de son petit corps bariolé envahit la plus immense des salles pour flanquer la chair de poule jusqu’au dernier rang.
Björk aura beau faire les propositions artistiques les plus grandioses ou les plus saugrenues, elle ne tombe de toute façon sous la coupe d’aucun critère de jugement traditionnel. Elle se soustrait au temps, bien au-delà de son apparence juvénile qui lui permet toutes les excentricités. Elle se soustrait aux lois de la critique, comme les impressionnistes à leur époque chamboulèrent subitement les règles de l’appréciation de l’art en en faisant une expérience subjective. L’influence de Björk sur l’histoire de l’art sera sûrement de cette envergure. Comment évaluer une oeuvre et une personnalité aussi singulières, qui ne se comparent à rien de ce que le monde a connu?
Parfois, les aspects visuel et sonore si puissants font oublier le sens même des mots qu’elle chante avec une façon toute personnelle de se réapproprier l’anglais – comme tout ce qu’elle touche, d’ailleurs. Son usage unique de la langue donne lieu à des perles imagées d’une rare poésie: ‘Quand tu n’es pas là, mon coeur se détricote’.
Le sommet de l’art
Photo: Paris Biophilia – Photos officielle – Crédit: Vera Palsdottir
Le spectacle multi-média ‘Biophilia’ est en tournée mondiale depuis 2011 et s’achèvera à l’été 2013. Les prochaines dates sont prévues en juin et juillet pour les festivals Bonnaroo; Ottawa Bluefest et Fuji Rock 2013