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Interview: Jacob Banks: “Être un conteur d’histoires me permet de m’apaiser.”

Interview: Jacob Banks: “Être un conteur d’histoires me permet de m’apaiser.”

06 November 2018 | PAR Donia Ismail

À l’occasion de la sortie de son premier opus Village, TouteLaCulture a eu la chance de rencontrer Jacob Banks, chanteur nigérian et britannique à la voix puissamment soul. On y parle de sa folle année, de Beyoncé, d’AfroTrap et de ses racines.

À la première écoute de l’album, on est frappé par la puissance d’une voix brute, agrémentée de sonorités jazzy si urbaines. Et lui, au centre, trône, surplombe le tout avec un son inouï qui lui appartient. La signature Banks réside dans ses allées et venues entre anciens temps et modernité, le tout s’étoffant d’une plume précise, acerbe et poétique.
Un verre de Prosecco à la main, quitte à se prendre pour Rihanna ou Barack Obama au choix. Et puis, d’un coup on s’envole sur les plages de Cancún ou à Mexico. Le soleil, au zénith, on est allongé peinard, on se met à rêver aux vacances, avant de faire un crochet vers le Nigéria avec le lumineux Keeps Me Going. En somme, un appel au voyage onirique et si brute. Délice.

Donia Ismail: La dernière fois que nous nous sommes vus, vous veniez de sortir en France votre troisième EP, The Boy Who Cried Freedom. Un an plus tard, vous êtes de retour à Paris pour la sortie cette fois-ci de votre premier album, Village. Comment on se sent préparé à une telle date?
Jacob Banks: J’ai l’impression qu’il était enfin temps de dévoiler cet opus à mes fans, qui l’attendent depuis un bon bout de temps. C’est la prochaine étape dans ma vie d’artiste. J’essaye de ne pas trop y penser. Je présente mon album à mes amis, c’est aussi simple que ça.

DI: Sortir un album après trois EPs et des années de travail, c’est un immense pas dans votre carrière, qu’il ne faut pas négliger. Je n’arrive pas à croire que vous ne soyez pas stressé!
JB: Non, pas du tout stressé. Le moins du monde. J’aime ce que j’ai produit, mis sur pieds avec mes amis. Mes proches adorent cet opus, au même titre que moi. Il n’y a pas de quoi stresser. Il ne me définit en rien. C’est seulement un petit pourcentage de ce que je suis.

DI: Mais vous restez fier de ce travail?
JB:  Énormément!

DI: En parlant de l’année 2017, elle a été folle pour vous. Vous étiez partout. On vous entendait à la radio, vous étiez en tournée autour du monde, l’une de vos chansons est dans le nouveau Fifa 19, vous êtes le nouveau visage de la dernière paire de Puma avec a chanteuse américaine Normani.
JB: C’était extraordinaire comme année, je ne pouvais pas rêver mieux. On était très occupé, mais c’était très fun. Je ne sais même pas si je mérite d’être aussi chanceux et heureux. Beaucoup de bonnes choses sont arrivées en même temps.

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DI: Cette année vous avez participé au festival Coachella, aux États-Unis. Pour un jeune artiste comme vous, c’est une chance inespérée…
JB: Oui, c’était dingue!

DI: Et puis il y avait Beyoncé…
JB: Oh oui. C’était la meilleure partie. Mon souvenir de Coachella n’était pas ma performance. Mais c’était que j’ai eu la chance de voir Beyoncé deux week-ends de suite. Je pense que je ne reverrais jamais une prestation aussi puissante de toute ma vie. Je ne peux même pas le définir: ce n’était pas un concert mais une expérience à proprement dit. Tout était si bien pensé. Elle n’est pas juste venue sur scène et a déroulé ses chansons. C’était un réel spectacle. Clairement, c’était hors norme. Elle était la première artiste noire en tête d’affiche et c’est Beyoncé, merde! C’est fou. Elle est Beyoncé, et elle a dû attendre autant de temps. C’est la plus grande artiste dans le monde depuis une quinzaine d’années, facilement. Il n’y a jamais eu quelqu’un d’aussi puissant, d’aussi grand que Beyoncé dans le monde. Personne ne se rapproche de son. Et pourtant, il a fallu attendre 2018 pour qu’elle fasse la headline de Coachella.

DI: Dans beaucoup d’interviews que vous avez faites, vous vous définissez comme un conteur d’histoires. Pourquoi un tel titre?
JB: Je pense qu’être un artiste, c’est un titre assez bizarre en lui-même. Si vous écoutez l’album, je ne m’identifie à un genre ou un son particulier. Ma voix est un instrument comme la guitare ou le piano, je l’utilise comme telle. Elle peut changer, se courber, être tout ce que je veux. Être un conteur d’histoires me permet de m’apaiser. Mon boulot est de vous livrer une histoire. Je ne suis pas là à essayer de faire l’album du siècle qui sera numéro 1 des charts. Je suis là pour raconter des histoires qui vous accompagneront de votre vie, qui vous tiendront compagnie. Cela me permet d’être libre. Si la célébrité vient, c’est très bien, mais ce n’est pas mon but ultime. Je n’en ai rien à faire.

DI : C’est quand même fou d’entendre ça. Les artistes de notre génération que l’on voit aujourd’hui, ne cherchent que ça. Totalement aux antipodes de vous donc…
JB : C’est une façon de voir les choses, et c’est valide aussi ! Certaines de mes idées n’ont qu’une envie c’est d’être célèbre, je ne sais pas pourquoi. Et de toute façon, je n’ai pas besoin de les comprendre. Mon boulot est de composer des chansons depuis un endroit honnête, que les personnes qui ne sont pas des professionnels de la musique, qui n’ont pas le luxe de pouvoir la comprendre et l’analyser, peuvent trouver un ami au sein de ses chansons. Ces titres m’ont tenu compagnie pendant si longtemps. J’aimerais faire la même chose pour les autres.

DI : L’opus se nomme tout simplement Village. Vous dites que ça vient d’un proverbe africain, « il faut tout un village pour élever un enfant ». Quel est le message derrière cet album?
JB : J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir sur ce que j’aimerais dire à travers ce premier opus, et j’ai toujours eu cette pression assez bizarre de devoir choisir un petit pourcentage de moi. Devais-je faire un album blues, soul ou hip-hop, ou plutôt jazzy… Mais j’aime et je suis toutes ces choses-ci car ces genres de musique m’ont élevé. J’ai un héritage africain mais aussi britannique. J’ai cet amour pour la chanson contemporaine, mais aussi pour le classique ou encore le jazz, le funk et le rock. J’aime toutes ces choses-là de façon égale. En tant qu’être humain, on est drôle, triste, heureux, on est la fille de quelqu’un, sa soeur, sa femme… On est tellement de choses, mais on ne se définit que par un seul pourcentage. Alors que nous sommes bien plus! Je voulais que cet album célèbre tout ce que nous sommes.

DI: Dans ce premier album, il y a une chanson, Keeps me Going, qui célèbre vos origine nigérianes. Comment l’avez-vous pensé?
JB : Je l’ai écrite il y a trois ans et demi. C’était très important pour de moi de l’inclure dans cet album. Pendant quelques temps, j’avais peur de le faire.

DI : Pourquoi donc?
JB : Quand un artiste produit du contenu, il analyse à l’excès la moindre chose. Par ailleurs, elle se démarque réellement des autres chansons, au niveau du rythme, mais aussi de mon chanté. Je en fais pas les choses à moitié. Si je dois chanter une chanson africaine, je le ferrais avec l’accent qui convient, celui de mon pays. Je ne la chanterai pas avec un accent britannique. Je veux incarner le titre en lui-même. J’avais cette chanson depuis des années en tête, mais je n’arrivais pas à me décider. Je ne devrais pas nier cette partie de moi. C’était une réelle lutte interne pour moi car j’avais le pressentiment que je me devais de choisir une seule partie de moi. Je veux pouvoir représenter que je suis, sans faire de concession.

DI: En France, depuis quelques années, des artistes noirs et arabes se réapproprient les sonorités de leur pays d’origine et les intègrent à la musique occidentale. Voit-on le même essor outre-manche?
JB : Totalement ! Le genre de musique à la mode ces temps—ci au Royaume-Uni est l’Afro pop.

DI: Et en France, l’Afrop-trap!
JB: Oui avec MHD. Je le suis depuis quelques années, il est phénoménal. Je ne comprends pas du tout ce qu’il dit [rires], mais les sonorités sont géniales: le mélange entre Afrique et Europe prend tellement bien.  On a le même mouvement en Grande-Bretagne. C’est très populaire! C’est le moment, enfin. Notre génération est le pivot. Nous allons sauver la race humaine. Je pense que nous sommes un bon groupe d’êtres humains. J’ai foi en notre génération. Chacun d’entre nous est en train de désapprendre les idéologies passées, comprendre le monde qui l’entoure, et réfléchit surtout. Toutes ces choses me permettent de produire de la musique de cette façon-là. Je n’aurais probablement pas pu faire cet opus il y a quelques années, parce que les gens l’auront démoli.

DI: Votre quête nous aide aussi en tant que minorités de se réapproprier nos cultures et nos histoires. En dévoilant un album avec une chanson aussi importante, où vous rendez hommage à votre héritage africain, vous encouragez votre auditoire à faire de même.
JB: Totalement. La représentation est cruciale. Je me souviens qu’en grandissant, être africain était quelque chose dont on avait honte. Mais je voyais des personnes qui étaient fières de leurs origines, et qui m’ont permis d’être fier d’être africain et britannique également. Les gens nous forcent à choisir entre les deux. Mais non, je suis les deux. L’un est ma maison, l’autre également.

Visuel © : GraceRivera

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Donia Ismail

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