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Najoua Belyzel, une chanteuse au destin singulier

Najoua Belyzel, une chanteuse au destin singulier

10 December 2018 | PAR Magali Sautreuil

Dix ans après la sortie d’Au féminin, Najoua Belyzel revient avec De la lune au soleil, son troisième et nouvel album, qui sortira dans les bacs le 15 mars 2019. Rien ne prédestinait Najoua à devenir chanteuse… Elle a pourtant su créer un univers qui lui est propre, immédiatement identifiable par son timbre de voix particulier et des textes forts, dans lesquels il y a toujours une lueur d’espoir. Découvrons ensemble cette artiste au parcours atypique.

Toute la Culture : « Najoua, vous avez commencé à écrire des textes très jeunes, n’est-ce pas ? »

Najoua Belyzel : « J’ai commencé à écrire des textes poétiques vers 13 ans. J’étais assez douée pour le français. J’adorais lire. J’empruntais souvent des livres à la médiathèque. Je m’inspirais beaucoup des romans à l’eau de rose, de la littérature victorienne, des sœurs Brontë, Les hauts de Hurle-Vent… Mais je suis vraiment tombée amoureuse des mots quand j’ai commencé à trouver la manière de jongler avec pour mettre en image ce que j’avais à l’esprit. Comme j’étais assez jeune, mes textes étaient plutôt naïfs. Je les ai conservé dans un classeur à la maison. Une fois, je suis tombée dessus par hasard. Et, en les relisant, je me suis aperçue que derrière leur naïveté et des mots assez basiques, il y avait aussi énormément de tendresse. L’envie était déjà là… De nombreuses possibilités s’offraient à moi. Aujourd’hui, j’ai la chance de faire ce métier, d’écrire mes textes et d’en vivre. Certes, je ne suis pas auteure de bestsellers, mais je trouve que la démarche est belle et qu’elle a quelque chose de magique. Plus tard, au lycée, j’ai participé à un concours d’anthologie de la poésie française, où je suis arrivée demi-finaliste. C’est toutes ces petites choses qui m’ont permis d’arriver là où j’en suis. Ensuite, ça s’est un peu gâté. Une fois obtenu mon baccalauréat, pour faire plaisir à mes parents, j’ai suivi des études de droit. Quelque part cela me convenait, car défendre le plus faible et le plus démuni correspond à ma philosophie. »

Toute la Culture : « Pourquoi n’avez-vous donc pas fait carrière dans le droit ? Comment êtes-vous devenue chanteuse ? »

Najoua Belyzel : « En fait, un an après mon inscription en licence, sur un coup de tête, j’ai abandonné mes études. J’ai quitté les bancs de l’amphithéâtre pour aller passer un casting à Paris. J’ai séché un cours de droit constitutionnel, qui ne m’intéressait pas, pour me rendre dans la salle web. C’était les débuts d’Internet… Là, je suis tombée sur une annonce dans laquelle on recherchait des chanteuses et des danseuses. Je n’étais ni danseuse ni chanteuse, mais je me suis dit que j’irais quand même, même si je ne correspondais pas au profil. Quand j’y repense, j’étais un peu dingue. Mais j’avais une énergie incroyable. Je suis donc allée à Paris pour passer cette audition. Mes parents étaient contre, mais j’ai fait le mur. Mais une fois sur place, je m’en suis prise « plein la gueule ». Il n’y avait que des divas. Elles chantaient toutes parfaitement, alors que moi, j’avais une voix de « Calimero ». Je ne savais pas chanter. À la base, je ne voulais pas chanter, je voulais simplement écrire. J’avais dix-neuf ans. Je n’avais pas vraiment conscience de ce que je faisais. Mais inconsciemment, en allant à Paris pour faire ce casting, je voulais provoquer les choses. J’étais venue avec mes textes. Par chance, un des producteurs a commencé à discuter avec moi et puis, il m’a demandé ce que je tenais là. Toute fière, je lui ai répondu que c’était mes textes et je lui ai proposé de les lire. Ce qui est dingue, c’est que ce jour-là, il y avait une personne qui filmait les auditions et qui a enregistré ce moment-là, ma première rencontre avec Christophe Casanave, qui est maintenant mon compositeur depuis une quinzaine d’années. C’est lui qui a réveillé la chanteuse et l’auteure qui sommeillaient en moi. C’est une des rencontres qui a changé ma vie. Au final, j’ai quand même été prise comme choriste. Financièrement, c’était plutôt une bonne expérience. Par contre, tout le reste ne me plaisait pas : l’univers de la nuit, le fait de devoir chanter en boîtes de nuit… Ça ne me correspondait pas du tout, ne serait-ce que par mon éducation et ma culture. Ce n’est pas ce vers quoi je tendais. J’ai donc arrêté au bout de quelques mois. Christophe, qui produisait ce projet, n’a pas été surpris par mon choix. C’est comme s’il le savait. Il m’a alors proposé d’écrire des textes pour une jeune chanteuse qu’il connaissait, qu’il mettrait ensuite en musique. Mais au bout de quelques mois, il s’est avéré que cette personne n’était pas très stable émotionnellement. Elle a manqué plusieurs rendez-vous, ce qui commençait à poser problème car on travaillait dans un studio au noir. On ne pouvait donc pas se permettre de perdre notre temps. Puis un jour, Christophe m’a dit : « Mais qui d’autre mieux que toi peut chanter tes mots / maux ». J’étais très surprise car je ne chantais pas. Je me suis donc retrouvée de l’autre côté de la cabine d’enregistrement. Je me suis ainsi mise à chanter par la force des choses. Heureusement pour moi, l’autre chanteuse n’était pas Mariah Carey : sa voix était assez simple. J’ai donc pu reprendre ses chansons. Ma carrière de chanteuse a débuté ainsi, en chantant des textes que j’avais créés pour une autre. Je lui avais écrits deux chansons, qui sont dans mon premier album Entre deux mondes en équilibre, dont Stella. Je parle un peu d’elle dans cette chanson, de sa folie… Ensuite, le temps a passé et j’ai écrit Gabriel. C’était ma première vraie chanson, mon premier succès. Dans le clip, à un moment, un homme m’embrasse et je me transforme en statue de pierre. Cet instant précis, je l’avais décrit dans un de mes textes de jeunesse, qui s’appelait Blessure. C’est comme si, symboliquement, j’avais voulu boucler la boucle pour prendre un nouveau départ… C’est au hasard du destin que je dois ma carrière. Avec le recul, je trouve que ce qui m’est arrivé est assez incroyable. J’ai vraiment eu beaucoup de chance de tomber à dix-neuf ans sur quelqu’un de bienfaisant et bienveillant envers moi car dans ce milieu-là, on peut rencontrer tout et n’importe qui. Mes parents voyaient d’ailleurs la musique d’un très mauvais œil et ne comprenaient pas pourquoi j’avais arrêté mes études de droit pour ça. Ils m’avaient inculqué la valeur de l’argent et là, en chantant en playback en boîte de nuit, je pouvais gagner plus de mille euros. Heureusement, grâce à mon éducation et à Christophe, je savais que cela serait éphémère et j’ai donc pu garder les pieds sur terre. Mes chansons sont le fruit de notre collaboration à Christophe et moi. Ce sont nos doutes, nos peurs, nos rêves… On forme un duo, même si la lumière est mise davantage sur moi. C’est pour ça que je parle beaucoup de Christophe. »

Toute la Culture : « Lorsque vous êtes devenue chanteuse, avez-vous pris des cours de chant pour apprendre les bases et vous perfectionner ? »

Najoua Belyzel : « Lorsque j’ai commencé à faire des maquettes, je n’avais les deux chansons que j’avais écrites pour la jeune fille que Christophe avait composées : Née de l’amour et de la haine et Ma vie n’est pas la tienne. On a commencé à démarcher les maisons de disque avec ces deux chansons. Ça a plu. L’univers était assez rock et n’avait rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui. C’était un univers que je ne connaissais pas du tout. Je ne suis pas musicienne, je ne joue d’aucun instrument… C’est Christophe qui m’a fait connaître cet univers. Il m’a apporté un bagage culturel très important. Toujours est-il qu’il a fallu que je sache chanter. Christophe a commencé par m’installer un module (du même genre qu’auto-tune) que l’on met sur les voix pour repérer les notes, les fréquences et corriger ma voix. Aujourd’hui, c’est très à la mode et de très grandes chanteuses, comme Rihanna, l’utilisent. Puis, à force d’entendre ma voix modifiée par la machine, j’ai commencé à faire de l’imitation. Christophe a ainsi compris que je ne savais pas tenir une note, un comble pour une chanteuse ! Comme je n’arrivais pas à tenir ma respiration, j’inspirais. Gabrielest née comme ça. Pour retenir ma note, j’inspirais. C’est ainsi qu’avec ce problème de respiration et le yoddle, j’ai commencé à trouver une personnalité, ma propre empreinte vocale. Cela a super bien marché avec le premier album. Mais, pour le second, je voulais me rapprocher du groupe fermé des artistes de variété française, sauf que j’étais un peu trop connotée dance et électro. En plus, j’étais dans un label indépendant très électro, Scorpio Music, qui ne faisait que des contrats de licence avec des artistes étrangers. Par contre, mes textes, eux, étaient très écrits et engagés. Je voulais donc trouver une légitimité. C’est pourquoi j’ai souhaité faire un album de variété française, accompagné à la guitare… avec pratiquement pas d’électro. J’ai voulu m’effacer légèrement par rapport au premier album. Dans la chanson Viola, j’ai même fait un duo avec Marc Lavoine. Cette chanson est un hommage à Katoucha Niane, un des mannequins d’Yves-Saint-Laurent qui s’est longtemps battue contre l’excision au Mali. Sa mort m’avait tellement choquée que j’ai souhaité faire cette chanson et en plus avec Marc Lavoine, un homme qui forme toujours de très beaux duos avec les femmes et qui est assez engagé pour la cause féminine. Pour ce second album, ma maison de disque a voulu que je prenne des cours de chant car ma voix n’allait pas forcément avec ces nouvelles musiques, beaucoup plus douces que les précédentes. Là, j’ai enfin appris à tenir une note. La professeure de chant avec qui je travaillais a compris qui j’étais, qu’il ne fallait pas gommer mon identité vocale, mais qu’il fallait y apporter de la force. Elle m’a laissée libre de retenir ce que je voulais de son enseignement. Par exemple, parfois tu dois chanter plus fort, parfois moins. Mais moi, je ne faisais alors pas la différence. J’étais capable de crier dans un micro sans m’en rendre compte. Elle m’a appris la douceur, la retenue dans l’émotion… J’ai alors compris pourquoi les chanteuses se rapprochaient et s’éloignaient du micro : c’était pour moduler leur voix. Moi, quand je voulais faire passer une émotion dans ma voix, je la faisais sauter et ça, je ne voulais pas qu’on me l’enlève. Je me suis appropriée ses conseils. J’ai arrêté les cours de chant. J’ai enregistré mon deuxième album, Au féminin. Cela s’est super bien passé. Malheureusement, ma maison de disque de l’époque n’a pas su gérer la promotion de ce nouvel album. Il y a eu une sorte de désamour entre nous et nous avons arrêté notre collaboration… Le temps a passé et je sors prochainement un troisième album, De la lune au soleil. Je suis enfin à l’aise avec ma voix. Aujourd’hui, quand je réécoute mes premières chansons, on sent que j’ai peur, que je cherche une certaine légitimité, que je me demande si moi qui n’aie jamais chanté, j’en ai le droit, si moi qui n’aie jamais écrit j’en ai le droit… C’est à partir du moment où Christophe m’a dit : « Mais qui d’autre mieux que toi peut chanter tes mots / maux », que j’ai commencé à écrire ma vérité. Et cette vérité, elle a commencé par une chose très difficile, par une chanson de mon premier album qui s’appelle Docteur Gel. Cette chanson, qui parle d’abus sexuel sur mineur, c’est mon histoire, celle de mes treize ans. Il a fallu que j’attende de rencontrer Christophe, que je fasse ce métier et que je pose des mots sur ce qui m’était arrivé pour enfin guérir. Cela m’a pris dix ans. Quand j’ai enregistré cette chanson, j’étais en larmes. C’était comme un exutoire. Puis, quand la chanson est sortie, j’ai commencé à recevoir des lettres de jeunes filles qui avaient vécu la même chose et qui avaient réussi à en parler justement après avoir écouté Docteur Gel. Là, je me suis dit que je n’avais pas fait ça pour rien, que je n’avais pas vécu ça pour rien… Les choses ont un sens, même si cela n’est pas toujours évident. Il a fallu que je trouve une certaine légitimité dans mes textes et dans ce que j’ai vécu pour pouvoir écrire cela. Au départ, je ne voulais pas « vendre » ce que j’avais vécu. Puis, j’ai compris qu’en véhiculant des messages forts, je pouvais aider mon prochain. À partir de ce moment-là, je me suis sentie à ma place. C’est pour ça que dans une de mes dernières chansons, Cheveux aux vents, je dis que je me sens bien dans mon pullover. »

Toute la Culture : « Dans vos chansons, vous ne choisissez jamais la facilité. Vous abordez souvent des sujets durs. Vous arrive-t-il de chanter des textes plus légers ? »

Najoua Belyzel : « Dans le métier que je fais, quand tu choisis de parler de choses difficiles et douloureuses, il faut toujours qu’il y ait de l’espoir. Si tu ne fais que raconter des choses tristes, autant allumer BFMTV ! Il faut donner de l’espoir aux gens. C’est très important. Je n’arrive pas à être légère et je n’en ai pas envie.Un jour, j’écrirais peut-être des comptines pour enfant. Je suis maman depuis peu et j’ai pris l’habitude de chanter des chansons à ma fille. Un jour, j’ai voulu lui chanter La bienvenue, une de mes chansons qui parle d’un enfant non désiré. Mais en la chantant, j’ai réalisé que cela ne convenait pas à une enfant. Je me suis arrêtée de chanter et j’ai alors commencé à lui inventer d’autres chansons spécialement pour elle. Comme il y en a que j’adore, je m’enregistre pour ne pas les oublier, peut-être pour un futur projet… Mais pour l’instant, je n’arrive pas à écrire des chansons légères car je m’inspire de l’actualité, du monde dans lequel on vit, des femmes… Parfois, je remonte le temps. Je suis née en 1981 et ne connais de l’histoire que ce qu’on a sélectionné pour nous. À nous d’approfondir les choses… »

Toute la Culture : « Votre nouvel album s’inscrit dans cette même démarche. Pourriez-vous nous en parler davantage ? »

Najoua Belyzel : « Cet album aborde des thèmes forts, parfois sombres, mais avec toujours de l’espoir. C’est comme le métier d’avocat que je devais exercer à la base. Un avocat ne dit jamais à son client que tout est perdu d’avance, même si cela a parfois un parfum de mensonge. Avec Christophe et Jérôme Morette, on a fait le choix de faire un album 100% électro, sans guitare, avec des sons froids qui donnent envie de danser de manière assez mécanique jusqu’à l’épuisement sans avoir conscience du texte. Ce n’est que par la suite, lorsque l’on réécoute la chanson que l’on se rend compte de la violence des textes. J’avais envie de créer une sorte de contraste, une ambiguïté… comme le font si bien Stromae et certains rappeurs. Je pense que l’on a relevé le défi et j’espère que cet album ne décevra pas, même si on ne sait jamais de quoi sera fait demain. Si à 24 ans, quand j’ai fait mon premier album, j’avais su qu’il aurait eu un tel succès, je ne l’aurais probablement jamais sorti… Je ne fais pas des chansons commerciales… Je parle de choses sensibles et profondément humaines. J’essaye de partager et de faire ressentir des émotions. Je tente d’aborder des sujets dont on n’a pas l’habitude de parler. C’est le cas, par exemple, de Que sont-ils devenus ?, une chanson qui fait partie de moi et dans laquelle chacun peut se retrouver. Je revenais de vacances d’Italie et au péage, je vois la photo d’un petit garçon porté disparu. J’étais bouleversée. Un peu plus loin, je m’arrête sur une aire de repos et je vois la photo d’une petite fille, elle-aussi portée disparue. De là, je n’ai pas arrêté de penser à ces enfants portés disparus et à toutes les personnes qui sont dans la même situation. J’ai décidé d’en faire une chanson, dont Christophe en a composé la mélodie. Mais je ne voulais pas m’arrêter là. J’ai appelé l’association 16000 enfants disparus, qui apporte son soutien aux familles qui ont perdu un proche. Je leur ai expliqué ma démarche et je leur ai demandé comment je pouvais les aider. Ils m’ont simplement dit de donner leur numéro. Cette rencontre m’a permis de donner de la légitimité à ma démarche et à ma chanson. C’est ainsi que je fonctionne… Je prends le temps d’aller au fond des choses pour leur donner un sens. »

Retrouvez le dernier album de Najoua Belyzel De la lune au soleil dans les bacs le 15 mars 2019. En attendant, vous pouvez la suivre sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Twitter et YouTube.

Visuel fourni par Warrior productions & records.

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Magali Sautreuil
Formée à l'École du Louvre, j'éprouve un amour sans bornes pour le patrimoine culturel. Curieuse de nature et véritable "touche-à-tout", je suis une passionnée qui aimerait embrasser toutes les sphères de la connaissance et toutes les facettes de la Culture. Malgré mon hyperactivité, je n'aurais jamais assez d'une vie pour tout connaître, mais je souhaite néanmoins partager mes découvertes avec vous !

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