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Radicalité, élégance et emphase pour l’Orchestre Régional Avignon Provence

Radicalité, élégance et emphase pour l’Orchestre Régional Avignon Provence

14 December 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Ce vendredi l’Orchestre Régional Avignon Provence n’a pas eu peur ni des grèves, ni du chiffre 13 et encore moins de la pluie et a proposé un étonnant programme allant du conceptuel au grandiloquent en passant par la féerie. 

Pour ce pas de trois, la soirée était composée de trois concerts symphoniques dont un concerto. L’orchestre retrouvait Pieter-Jelle De Boer qui les a déjà dirigé. Et pour la première fois, la célèbre violoniste russe Maria Milstein. Elle intervient comme soliste pour ce que l’on peut qualifier de tube : le  Concerto n°1 pour violon en mineur op.64 de Félix Mendelssohn. Au regard du programme  le choix de placer ce temps au chœur de la soirée apparaît comme une respiration.

On sait les audaces de cet orchestre merveilleux et pérenne, fondé à la fin du XVIIIe siècle, aujourd’hui dirigé par Philippe Grison et dont la direction musicale est dans les mains, depuis septembre, de Debora Waldman . Chaque programmation est l’occasion de faire avancer à la fois le regard et l’écoute des spectateurs. Que ce soit autour de Brahms ou du jazz, cet orchestre ose tout.

Et quel bonheur, immense, de voir le nom d’Henri Dutilleux inscrit au programme de cette soirée, au spectre large, intitulée “Passions germaniques, magie française”. La pièce de Dutilleux se nomme Mystère de l’Instant pour orchestre à cordes, cymbalum et percussion. Elle a été écrite en 1989. 1989, c’est une année de révolution musicale. Jean Michel Jarre sort Oxygène et l’heure est aux expérimentations. Ce vent-là s’empare également de la musique symphonique et Dutilleux propose dix instants, aux rythmes et aux temps inégaux. Tout commence dans un crissement des cordes, tout menant à un embrasement superbe. Cette écriture écrase la notion de star et met tout le monde sur un pied d’égalité. Chaque musicien a un temps pour lui.  Chaque “instant” est véritablement indépendant et sans transition avec le précédent. A voir, c’est une jubilation. On ne sait jamais d’où la musique va sortir. Le cymbalum ajoute beaucoup à ce trouble, cet instrument à cordes qui ressemble à  un piano sonne comme un partenaire reliant les soli à l’intérieur des Instants. Pour l’anecdote, on apprendra, rappelle l’IRCAM, que “vers la conclusion, apparaissent des métamorphoses à partir des six notes correspondant aux lettres du nom Sacher, soit S A C H E R.” La pièce était en effet une commande du chef d’orchestre Paul Sacher. Le niveau d’attention que demande l’écoute de cette spatialisation si belle et en même temps totalement insaisissable demandait ensuite un peu de beauté pure.

Alors, avec une étonnante transition on passe au Concerto de Mendelssohn. Nous voyons disparaître Pieter-Jelle De Boer, très élégant avec sa veste en queue de pie. Il revient avec dans la main un violon et à ses côtés Maria Milstein en béquilles. C’est donc assise qu’elle jouera. L’image est belle de la voir à ce point reliée à l’orchestre. C’est en 1844, à la fin de sa vie que Mendelssohn compose cet iconique concerto. Il l’offre en 1845 à Ferdinand David. Ce qui transforme cette composition en mythe, c’est son ouverture. Contrairement à ce qui apparaît comme une règle, le compositeur refuse traditionnelle exposition orchestrale en faisant commencer le concerto par le soliste. Trois temps donc Allegro molto appassionato en mi mineur, Andante en sol majeur, Allegretto non troppo – Allegro molto vivace en mi majeur. Maria Milstein avance sans partition, totalement habitée par les arabesques de cette mélodie comme une chanson. Le romantisme est à son paroxysme et les dialogues entres les flûtes et les violons sont l’occasion de montées chromatiques enveloppantes. Techniquement, c’est d’une difficulté sans compromis. Et à cet exercice la moscovite ne faillit pas. 

En guise de final, le programme intègre une pièce de Robert Schumann, la Symphonie n°2 en do majeur op.61. Quel rapport avec ce qui a précédé ? Entre Dutilleux et Mendelssohn il y a l’idée de rupture. Et bien , entre Schumann et Mendelssohn, il y a, en plus de l’innovation, de la filiation. D’abord un rapport chronologique, les deux pièces sont écrites en “même temps”. La Symphonie est composée entre 1845 et 46. Et ensuite il y a l’humain… “La première représentation fut donnée par l’Orchestre du Gewandhaus de  Leipzig le  sous la direction de Felix Mendelssohn”.

L’intérêt majeur si niche dans l’étonnant Adagio espressivo. Merveille mélancolique pour le compositeur alors malade. Dans cette partie, l’âme de Bach est dans tous les contrepoints. Ailleurs, nous sommes plutôt dans l’éloquence de Ludwig van Beethoven. Une oeuvre qui navigue entre espoir et désespoir, qui se termine d’ailleurs par un apaisement joyeux. Comme chez son contemporain et son future, la composition étonne par la structure. Comme le rappelle Jean-François Boukobza : “Son plan hautement original repose en effet sur un temps musical inédit. Le matériau de l’introduction lente est entendu à la fin du Scherzo puis du dernier mouvement tandis que le thème de l’ Adagio est de nouveau développé dans le finale, selon un tissage complexe des éléments thématiques”. Pour l’orchestre, c’est l’occasion d’unisson dans un rythme fou. 

A noter, que le 8 février, Goran Bregovic sera sur la scène de l’Opéra pour Trois lettres de Sarajevo, une commande du Festival de Musique de Saint-Denis, co-produit par L’Opéra Grand Avignon

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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