
Michaël Adda, fondateur du label La Dolce Volta nous parle du Festival du 7 décembre
Pour la deuxième année consécutive, le Festival La Dolce Volta invite les artistes Wilhem Latchoumia, Anne Gastinel & Xavier Phillips, Dana Ciocarlie et Geoffroy Couteau, Amaury Coeytaux, Raphaël Perraud, Nicolas Baldeyrou à se succéder pour jouer et interagir avec le public Salle Gaveau, de 14h à 23h, le 7 décembre prochain. Tous viennent d’enregistrer un album pour le fameux label à la Vespa, créé par Michaël Adda en 2011, après plusieurs années à officier chez Calliope. Nous avons interviewé cet homme d’affaires et de goût qui a su magnifier l’objet CD pour transformer les disques physiques en petits pains sonores qui s’arrachent comme jamais.
L’année dernière, le Festival faisait face aux Gilets Jaunes, cette année à la Grève… C’est difficile de planifier un Festival en fin d’année ?
L’an dernier, nous avions fixé la date au 24 novembre, ce qui semblait être une très bonne date… si ce n’est que ce fut le premier week-end de manifestation des Gilets Jaunes à Paris. Cette année, nous l’avions décalé au 7 décembre parce que l’on voulait réaliser quelque chose d’incroyable, du jamais fait à Gaveau… et qui ne se fera pas d’ailleurs puisque c’était un duplex depuis Notre Dame. Salle Gaveau, il y a un orgue et il n’y a plus de clavier : Olivier Latry qui n’était libre qu’à cette date, devait jouer en duplex, en concert d’une heure, le programme du disque “Bach to the Future” qu’il a récemment enregistré pour la Dolce Volta. Et puis à la fin de ce récital, on aurait projeté la vidéo incroyable que l’on a réalisée sur la cathédrale pendant l’enregistrement. 10 minutes de vidéos totalement magiques et pendant ces 10 minutes, l’idée était de l’exfiltrer pour monter sur scène à Gaveau en vespa. Le 15 avril a évidemment tout remis en cause, et Olivier Latry n’a pas souhaité jouer parce que le projet de ce disque était vraiment lié à Notre Dame. Son disque C est le tout dernier disque enregistré à Notre Dame, le tout dernier avant plusieurs années, voire des décennies. L’enregistrement a eu lieu en janvier 2019 et l’album est sorti en mars 2019.
Comment se passe un festival “Dolce Volta” ?
L’idée est née l’an dernier et consistait à créer un rendez-vous pour un public toujours plus nombreux à acheter des disques de la Dolce Volta. Nous voulions organiser une rencontre entre les artistes qui avaient une actualité discographique chez nous et le public. La première édition était une fête, où nous avions invité tous ceux qui étaient depuis le début dans l’histoire de la Dolce Volta… des journalistes, des programmateurs, des publics… Et malgré les événements de l’an dernier, on a quand même réussi à attirer plus de 2 000 spectateurs, sur une jauge totale de 4 000, sachant que normalement on aurait dû en recevoir 3 000. Avec le recul de l’après-concert, quand on a vu les images et le samedi suivant, celles de l’Arc de Triomphe dégradé, on s’est quand même dit que ces 2 000 personnes avaient bravé les rues, le gazage, le métro fermé pour écouter de la musique. Les concerts ont eu lieu, la boutique de vente de disques a connu un succès monstrueux et le public est resté très longtemps à discuter avec les artistes… Nous avons donc décidé de réitérer l’expérience et une troisième date est déjà prévue pour 2020.
Pour cette seconde édition, nous reconduisons la formule de 4 concerts à 14h, 16h, 18h et 20h30. Les portes de la salle Gaveau seront ouvertes de 14h à 20h30 jusqu’au dernier concert. Donc on peut venir à tous les concerts, comme venir à un concert et partir faire ses courses et revenir pour le concert de 18h00 ou celui de 20h30. Tout est organisé pour que cela soit une journée de fête sur mesure pour le spectateur. Il peut venir quand il le souhaite, il n’y a aucune obligation. Les 3 premiers concerts durent 1h sans entracte. Et celui de 20h30 dure 1h30 avec un entracte et les artistes sur scène joueront, mais s’exprimeront aussi. Il y a de l’interaction, c’est-à-dire que si le public souhaite poser des questions, on peut leur répondre. C’est vraiment une fête, une rencontre, nous ne sommes pas là pour délivrer une interprétation et nous en aller pour faire des signatures.
En marge de ces quatre concerts, nous avons organisé 2 expositions photo. La première, la plus “simple”, montre les images du photographe avec qui la dolce Volta collabore depuis longtemps, William Beaucardet. Nous avons fait une sélection des portraits les plus frappants avec des artistes, avec des “gueules”. Le second photographe est un jeune que j’ai trouvé sur les réseaux sociaux, une sorte d’Indiana Jones de l’archéologie du piano. Il s’appelle Romain Thierry et s’est spécialisé dans la recherche de pianos spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale ; il va les chercher en Europe de l’Est, les photographie ; bien souvent ce sont des pianos qui ont été volés en France et qui sont partis à Allemagne de l’Est, en Pologne ou en Tchécoslovaquie, dans les hôpitaux de campagne militaires qui soignaient les soldats allemands, pour faciliter leur convalescence. Pendant le IIIe Reich, les établissements médicaux se sont transformés en établissements de repos, dans lesquels on a conservé les instruments. Depuis une dizaine d’années, tous ces établissements ont été désaffectés au profit de nouvelles unités et ils vieillissent, se désagrègent au fur et à mesure du temps. Les pianos vieillissent simultanément. Et cela produit des photographies d’une poésie incroyable. J’ai eu un coup de cœur pour ce photographe et je lui offre, le temps du Festival les murs de la Salle Gaveau. Il y aura une quinzaine de tirages photo de 1m de haut pour 1m,50 de large
Comment avez-vous choisi les 4 artistes programmés?
Ce sont des artistes qui ont une actualité discographique au moment de l’organisation du festival. Il faut jouer avec le calendrier de chacun.
À 14h, le pianiste Wilhem Latchoumia est un coup de cœur qui remonte à 2015, un pianiste surdoué spécialisé dans le répertoire contemporain. Un antillais, très grand, élégant et avec un touché extrêmement sensuel, il nous a même proposé un programme consacré à Manuel de Falla et à Prokofiev, au travers de plusieurs pièces de Cendrillon, le ballet, dont on a choisi les pièces les plus emblématiques que n’importe qui peut reconnaître. Et puis, il joue un compositeur américain qui s’appelle Henry Cowell, qui est incroyable, un compositeur qui jouait debout et qui jouait dans son piano. Il avait un pied sur les pédales puis il pinçait les cordes et il en sortait un son mi-terrifiant mi-ensorcelant … On a testé le programme cet été, et le public était scotché ; c’était la première fois qu’on entendait sonner un piano comme ça… J’ai donc souhaité lui offrir plus de visibilité au sein du festival pour lui montrer que c’est un artiste qui m’est cher et que je compte vraiment poursuivre notre collaboration. Sachant que la semaine dernière, il était à la Philharmonie de Paris. Il est vraiment devenu un “nom”.
Ensuite, à 16h, nous aurons deux artistes sur scènes, deux violoncellistes, et non des moindres, Anne Gastinel et Xavier Phillips, qui ont enregistré un disque incroyable consacré à 6 duos pour violoncelle de Jacques Offenbach, compositeur que l’on connaît moins au travers de cet instrument mais que l’on connait plus pour l’opéra bouffe… Les pièces sont d’une difficulté incroyable, mais sans cesse basées sur des rebonds, sur de l’humour, c’est un dialogue entre deux musiciens.
À 18h, nous aurons un concert d’une pianiste incroyable, franco-roumaine, Dana Ciocarlie qui, de 2011 à 2015, a consacré une part de sa vie à enregistrer live l’intégrale de piano seul de Robert Schumann. Je la surnomme “Madame Schumann”. Elle va nous faire un concert de trois pièces de Schumann, qui font partie de mon répertoire de prédilection. On l’entend rarement à Paris, cela va être un très très beau moment parce qu’elle est aussi généreuse dans la vie que sur scène. Il y a un côté joyeux à la voir jouer, et un plaisir communicatif.
Enfin à 20h30, le concert de “gala” de 1h30 sera consacré à Brahms, autour du pianiste Geoffroy Couteau, qui a déjà enregistré l’intégrale de piano seul de Brahms en 2016 et qui, depuis 3 ans, a réuni autour de lui une équipe de musiciens pour enregistrer l’intégrale de la musique de chambre de piano du même compositeur… Pour ce concert, nous aurons 3 musiciens avec lui, le violoncelliste Amaury Coeytaux qui fait également partie du quatuor Modigliani, le violoncelliste Raphaël Perraud et le clarinettiste Nicolas Baldeyrou. Ils vont nous interpréter 2 sonates pour violons, violoncelle et piano et la fameuse sonate pour clarinette de Brahms qui est rarement jouée ; cela va vraiment être une journée extrêmement riche avec une variété de répertoires et de personnalités incroyables, des grands noms et surtout des musiciens qui sont tous généreux qui aiment partager avec le public.
Et quels sont vos publics ? ceux qui achètent des disques ?
La Dolce Volta vend beaucoup de disques mais si vous comparez aux festivals comme La Folle Journée ou la Roque D’Anthéron, il y a encore un public qui achète des disques à l’issue des concerts… Il y a moins de clients dans les magasins mais pour des raisons de linéaires qui réduisent et qui limitent l’offre culturelle et sa pluridisciplinarité au bénéfice de disques qui sont plus promus à la télévision et avec une plus grosse caisse de résonance au détriment de la production artisanale… Les disques de la Dolce Volta, l’an dernier, c’est 100 000 disques vendus, peut-être 100 000 acheteurs – parce que certains en achètent plusieurs d’un coup mais mais les lecteurs de commercialisations sont nombreux. Auparavant c’était les magasins ; aujourd’hui les concerts prennent de plus en plus d’importance, les ventes au travers de boutiques de maisons de disques fonctionnent bien. C’est un travail de professionnel et de marketing numérique devant une question théorique “Pourquoi acheter ce disque de Prokofiev et pas un autre ?” C’est à nous aussi d’avoir les outils pour pouvoir drainer une fréquentation dans nos boutiques en ligne et faire en sorte que les achats se fassent. Et donc la clientèle du festival et des spectateurs, si la grève n’est pas reconduite, cela correspondrait à une clientèle dans un périmètre de 150 km de Paris.
Vos disques sont aussi des beaux objets qu’on ouvre comme des cadeaux…
C’est primordial ! Ce sont des beaux objets que j’aurais voulu acquérir personnellement mais que je n’ai pas trouvés. Donc j’ai créé des pièces comme l’emballage que j’aurais voulu acheter, à savoir des digipacks élégamment conçus et illustrés, avec des livrets qui ont pour moi un véritable intérêt, c’est à dire de la musicologie. On peut acheter un dictionnaire et ça n’a pas vraiment d’intérêt mais, par contre, entendre les propos d’un artiste au travers d’une interview, expliquant ses choix musicaux, pourquoi tel(s) partenaire(s), tel lieu, tel piano, pourquoi tel(s) compositeur(s) et nous expliquer aussi ses doutes, ses incertitudes face au programme, la difficulté d’être seul dans des salles immenses avec des micros. Devoir se mettre à nu et se livrer dans un témoignage, c’est extrêmement difficile pour un musicien et ce qui est impressionnant, c’est que les auditeurs, ceux qui achètent les disques ne sont pas au courant de tout ça. Ils écoutent un produit fini. L’idée est d’immerger le public dans la genèse, dans la conception de l’enregistrement pour apporter une valeur ajoutée à nos productions.
Y avait-il une différence l’année dernière entre ce qui est dit dans le livret du disque et ce qui est fait sur scène ?
Oui, car dès que l’enregistrement est terminé, la prestation est déjà caduque. Dès le lendemain, les musiciens qui viennent me voir en me disant “tu sais si je devais le refaire…, ou je ne le referais pas de la même façon…, ou pas avec le même ingénieur du son”. Il y a une maturité. Par contre, on enregistre un disque à la Dolce Volta quand le moment est venu, un peu comme les vendanges… Le bon moment n’est ni trop tôt ni trop tard. Le bon moment, c’est le temps où le résultat est le meilleur pour tout le monde. Le temps d’un enregistrement est un instant très court, et dès que le moment est fini, l’émotion de cette interprétation est caduque. Donc entre les discours qui ont été imprimés dans un livret lors de la sortie du disque et les allocutions d’artistes, il y a parfois eu beaucoup de grandes surprises avec des changements et des analyses différentes, ce qui est assez instructif.
Vos disques sont-ils disponibles en streaming ?
Oui, les disques sont présents dans le monde entier, chez n’importe quel disquaire si on en trouve, sur toutes les plateformes de téléchargement et en streaming (Tunes, Deezer, Spotify…). Le travail est fait de manière identique pour tous les supports. On travaille de façon sérieuse, autant pour le disquaire que pour la Fnac.
Comment est apparu le scooter comme mascotte du label ?
Pendant mes études, deux jours avant l’examen final, j’ai fait la fête avec mes copains et je suis rentré en scooter et… je me suis réveillé 2 jours plus tard à l’hôpital, j’avais loupé un virage. Donc, j’ai toujours adoré le scooter ; pour moi, c’était la liberté absolue, et un peu de rancœur aussi parce que ça m’a fait louper une partie de ce qui été appelé à devenir mon avenir. Sauf que 3 mois plus tard, alors que j’ai du redoubler, j’ai rencontré ma femme et celle qui allait être la mère de mes enfants… Le scooter, c’est un objet de fascination. Je suis aussi un amoureux fou de l’Italie, je suis quasiment incollable, je suis béat d’admiration et d’envie quand je vais à Rome ou à Naples. Ma société s’appelle la “Prima Volta”, la “Première fois” où j’ai créé une société. Et quand il a fallu créer une marque, pour le logo, immédiatement, j’ai pensé à la Dolce Vita, sauf que c’était protégé. Puis La Dolce Volta ça sonnait bien avec en logo … “une vespa, évidemment”. Et ça a fonctionné !
visuel : affiche du Festival.