Non classé
Müller-Machines : un florilège Heiner Müller esthétique, électronique et clinique à la Maison de la Poésie

Müller-Machines : un florilège Heiner Müller esthétique, électronique et clinique à la Maison de la Poésie

21 October 2012 | PAR Yaël Hirsch

Le metteur en scène Wilfried Wendling chosit trois textes du dramaturge allemand Heiner Müller qu’il confie au comédien Denis Lavant, à la danseuse aérienne Cécile Mont-Reynaud et aux battements électros de Kasper T. Toeplitz. Un spectacle très esthétique, à l’intersection de l’expressionnisme, de l’inhumain et du mythe, dans le droit fil de l’écriture de Heiner Muller barbelé plus que soyeux. Un spectacle-total à voir jusqu’au 28 octobre à la maison de la poésie puis en tournée en France.

Vidéaste et metteur en scène Wilfried Wending a “cousu” ensemble trois textes de Heiner Müller : “Paysage sous surveillance” qui décrit au choix la mort du couple ou un couple mort, “Nocturne”, qui est un cri sur la fin du monde, et “Libération de Prométhée” qui revisite le mythe en traité (mal)odorant de la servitude volontaire. Dès avant le lever du rideau, l’on sent qu’il en coûte au metteur en scène que le texte soir prononcé en Français, puisque le public patiente avec des paroles de Müller proférées en Allemand sur fond de musique anxiogène et de projecteur extatique faisant penser aux lampes torches d’un policier de RDA chargé de surveiller que personne ne passe à l’Ouest. La déshumanisation commence et le spectacle parvient parfaitement à réaliser ce paradoxe : un expressionnisme clinique. La fin du monde a déjà eu lieu et le cris d’après l’apocalypse est déjà celui d’une machine. C’est dans la quasi-obscurité que se passent les 2/3 du spectacle. Au début pendant un long quart d’heure dans un presque silence qui s’ouvre sur une forêt de fils où se contorsionne avec grâce le corps en costume blanc de Cécile Mont-Reynaud. En dessous, Denis Lavant apparaît peu à peu, mime anxieux d’une condition humaine de dévastation. Comme un danseur de Kabuki, Lavant ne s’élève jamais plus haut que lui même, il grimace par tous les muscles dans des postures plus douloureuses qu’un cri. De cri, il n’y en a d’ailleurs point dans ce premier acte où le texte de Müller est débité en voix off, comme sorti d’une autre machine du compositeur et souvent brouillé par des larsens latéraux. Muni d’une Thérémine puis d’un Gong, Kasper T. Toeplitz est dissimulé par les cordes pour battre le rythme d’une marche post-funéraire pour couple enseveli. Moment clinique, esthétique, donc paysage et non portrait, qui se termine par la tombée de tous les fils, de tous les liens. Cette chute découvre le musicien et ses instruments. Et les cordes resteront sur scène comme traces et déchets. A partir de ce moment-là et pour le reste du spectacle, la danseuse est immobilisée, allongée blanche comme Maja morte, sur un lit de fer posé en apesanteur.

Le deuxième acte est un très long gémissement, une agonie où Denis Lavant semble se débattre seul contre l’obscurité, contre les bords bétonnés et le rythme effrayant de la musique. La voix de femme mécanique qui débite le texte, tel un GPS préprogrammé pour le néant rend cette deuxième partie encore plus anxiogène. Sans transition, toujours sous le corps immobile de la danseuse, l’on passe au mythe. La lumière augmente un peu sur le corps en nage de Denis Lavant. Toujours dansant comme un pantin désarticulé, toujours au bord du gémissement mais sans jamais porter atteinte au texte, le comédien livre une performance physique époustouflante dans une révision de Prométhée. Plus noir que dans le noir, le libérateur de l’humanité, le porteur de feu semble encore plus nu, accroché par habitude à la torture que lui procure son aigle et se débattant contre la liberté que lui offre Héraclès.Une servitude volontaire terrible qui se fini en vivats lâches après 1h30 de grande performance physique, de rythme d’une irrégularité suffocante et de ténèbres radicales. Un spectacle éprouvant, d’une beauté de trou noir et surtout d’une fidélité sans tâche à l’univers de Müller.

“Müller-Machines”, d’après Heiner Müller (trads. Jean Jourdehuil, Jean- Pierre Morel, Jean-François Peyret et Heinz Schwarziger), mise en scène, musique, et vidéo :Wilfried Wendling, jeu : Denis Lavant, danse : Cécile Mont-Reynaud, électro et interprétation : Kasper T. Toeplitz, lumière : Annie Leuridan. Durée du spectacle : 1h30.

 

 

(c) : Béatrice Logeait

Freddie MERCURY : Le crépuscule d’un dieu
De Shostakovitch à Eric Breton au Théâtre du Chien qui fume [Live Report]
Avatar photo
Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration