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Zaza Shengelia : « La Georgie est un pays qui lit et qui pense qu’il a des choses à dire au monde »

30 November 2021 | PAR Yaël Hirsch

Zaza Shengelia, conseiller de la Maison des écrivains de la Géorgie et chargé des relations avec l’édition Francophone, répond à nos questions sur le festival Festival “Voyages au Caucase : la Géorgie” qu’il organise du 3 au 5 décembre. Il s’agit de 10 conférences en français qui sont autant d’invitations à la découverte des cultures géorgiennes (histoire, poésie ou gastronomie).

À suivre pendant trois jours sur la page sur la page Facebook du Writer House Georgia et également la page Facebook de Toute La Culture, partenaire de l’événement.

Avec le festival, la Géorgie célèbre 100 ans d’amitié franco-géorgienne, quelles sont les grandes figures et les grands accomplissements de cette amitié ?

C’est en 1921, à la suite de l’invasion bolchevique, que plusieurs centaines de Géorgiens – le gouvernement, les politiciens, une partie de l’armée et de l’aristocratie, ainsi que d’autres opposants à la Russie soviétique – quittent leur terre natale pour la France. Ainsi commence une étape importante de l’amitié et du rapprochement de la Géorgie avec la France. Pendant les 70 ans de l’Union soviétique, c’est en France que les idées d’indépendance et de liberté de la Géorgie sont restées vivaces. Outre les grandes figures de l’histoire géorgienne, la France a été le refuge du trésor national de la Géorgie.

C’est comme si l’hexagone avait servi de lieu sûr où notre pays a pu conserver ses biens matériels et moraux pendant les années d’occupation. Voilà la raison pour laquelle nous avons décidé de commémorer les 100 ans de ces relations spéciales. Les Géorgiens sont bien conscients du rôle que la France a joué dans l’histoire de notre pays. Avec ce festival, nous souhaitons partager cet héritage avec le public français moins informé sur le sujet.

Quelle est la place de la langue française en Géorgie et au cœur du festival ?

Aujourd’hui, la langue française n’a pas la place que je pense qu’elle devrait avoir en Géorgie. Comme ailleurs, c’est l’anglais qui domine sans partage sur les autres langues étrangères. Cependant, grâce à la politique culturelle très active de l’Allemagne, la langue de Goethe a pu attirer une partie importante de la population géorgienne tournée vers les langues étrangères. Naturellement, en tant que francophone et francophile, je ne suis pas très heureux de faire ce constat, mais dans un monde globalisé, il est nécessaire de redoubler d’efforts pour changer cette situation. En revanche, la littérature française est très activement traduite et suivie par les maisons d’édition géorgiennes et les auteurs français, même les plus contemporains, sont relativement bien connus ici.

Après avoir bénéficié de l’attention que confère le statut de l’invitée d’honneur à la Foire du livre de Francfort, nous nous sommes dit que la littérature géorgienne avait besoin de se frayer un chemin dans des espaces qui étaient restés relativement inaccessibles. Nous avons réalisé que nous ne pouvions pas dire que nous étions présents en Europe sans être présents dans le monde de l’édition française. Nous envisageons de présenter la Géorgie en tant qu’invitée d’honneur au Salon du livre de Paris en 2024, mais le chemin à parcourir est encore long. Ce festival sera l’une des premières étapes.

L’évènement célèbre également le centenaire de la démocratie en Géorgie. Alors que les dernières et récentes élections suscitent de grands débats, quelles sont – selon vous qui êtes aussi politiste – les forces et les faiblesses de cette démocratie aujourd’hui ?

La plus grande faiblesse de la démocratie géorgienne se trouve dans l’héritage historique du pays qui a gagné son indépendance en 1991 après la chute de l’URSS. Si l’on ne compte pas des trois courtes années de l’indépendance entre 1918 et 1921, la Géorgie a passé les deux derniers siècles sous le joug de la Russie impériale d’abord et de l’URSS ensuite. Ces longues années passées sans l’indépendance ont empêché la formation des diverses institutions et traditions nécessaires au fonctionnement des démocraties modernes. C’est à partir de la fin de XXe siècle que les Géorgiens ont dû apprendre et s’habituer aux bases démocratiques de l’état moderne : séparation des pouvoirs, primauté des lois, notions de citoyenneté et droits et responsabilités qui vont avec. À part la brièveté de cette période il faut tenir compte des nombreux obstacles encourus par le pays pendant la période post-soviétique.

Tout d’abord, des guerres successives entre la Russie et la Géorgie sont survenues dans différentes régions géorgiennes dès 1991. Deux régions du pays demeurent occupées jusqu’à présent par la Russie, les troupes russes se trouvant à 40 kilomètres de la capitale de Géorgie. À part cela, il faut tenir compte du désastre économique survenue dans les années 1990 et de tout ce qui en découle. Mais malgré toutes ces difficultés, on peut dire le pays avance, même si c’est souvent à force de sacrifices, mais l’environnement dans lequel on se trouve ne nous laisse guère de choix ; s’arrêter serait se condamner au retour sous l’influence de la Russie de Poutine avec tout ce qu’en découle. La Géorgie a fait un choix sans équivoque pour l’Europe, un choix qu’il faut défendre sans perdre le chemin. Même si l’on n’est pas “sorti de l’auberge”, comme on dit, nous y croyons !

Le festival disponible en ligne est tout à fait interdisciplinaire, incluant par exemple la gastronomie et la science. Pouvez-vous nous parler un peu plus des conditions de la retransmission et du choix des thèmes ?

Ayant cette occasion rare de toucher directement le public français, nous avons voulu présenter notre culture dans sa diversité et ne pas nous focaliser uniquement sur la littérature, même si le sujet est prioritaire pour nous. Nous espérons que l’on réussira ce pari.

Quels sont les principaux poètes et auteurs géorgiens traduits en français aujourd’hui et par lesquels commencer pour s’initier à la culture géorgienne ?

Il y a, malheureusement, très peu d’auteurs géorgiens déjà traduits en français. Quelques grands classiques, comme le poème épique Le chevalier dans la peau de panthère, une œuvre fondatrice de la culture géorgienne, sont traduits. Quant aux auteurs contemporains, plusieurs traductions sont en cours. Je pense notamment à Levan Berdzenichvili, auteur et dissident géorgien, dont le livre sur ces expériences au GOULAG va être publié bientôt. Il y a la romancière géorgienne, Nino Kharatishwili, dont trois romans sont déjà publiés en France.

Je pense au recueil des poèmes, Je suis nombreuse, de quinze poètes géorgiennes publié récemment par L’inventaire. À la Maison des écrivains, qui comprend des fonctions similaires au Centre national du livre français, nous avons plusieurs programmes d’aides à la traduction et à l’édition qui sont très intéressants aux éditeurs français, surtout aux petites maisons qui souvent n’ont pas de moyen de s’aventurer dans les espaces moins explorés comme celle de la littérature géorgienne. Avec notre présence active et les différents projets que l’on envisage de lancer en France, nous espérons attirer plus d’attention, nous faire connaitre un peu plus.

À l’international, quels sont les enjeux pour Tbilisi d’être capitale mondiale du livre de l’UNESCO ?

Encore une fois, c’est l’occasion de s’ouvrir au monde pour nous, mais aussi d’inviter tout le monde à découvrir un endroit et une culture qui est restée relativement peu connue par le passé. C’est un pays qui lit, nous suivons de près ce qui se passe ailleurs, mais en même temps nous pensons que l’on a des choses à dire au monde.

Visuels : (c) Affiche du Festival et portrait de Zaza Shengelia (DR)

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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