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“Les Aventures d’un mathématicien”, une belle réflexion sur le rapport entre science et éthique

“Les Aventures d’un mathématicien”, une belle réflexion sur le rapport entre science et éthique

30 November 2021 | PAR Julia Wahl

Le réalisateur allemand Thor Klein nous propose de suivre l’histoire du mathématicien Stanislaw Ulam et sa participation au fameux projet Manhattan, dirigé par Oppenheimer. Les Aventures d’un mathématicien, une tranche biographique qui se présente surtout comme une plongée dans la conscience du scientifique.

Au cœur du Projet Manhattan

La caméra de Thor Klein nous emmène à Los Alamos, où se trouvent les scientifiques ayant pour mission d’élaborer une bombe avant les physiciens d’Hitler. Nombre d’entre eux sont juifs et espèrent ainsi, de façon très concrète, faciliter la vie de leur famille restée en Europe. Surtout, ils voient en la bombe atomique une simple arme « de dissuasion », sans aucun objectif d’expérimentation sur des populations civiles.

Mais un premier coup de massue tombe après le 8 mai 1945 : malgré l’abdication des nazis, le gouvernement souhaite continuer le travail sur cette bombe, arguant de la poursuite de la guerre sur le front japonais. Stanislaw Ulam refuse alors d’assister aux essais. S’ensuit ensuite le bombardement sur Nagasaki, incompréhensible pour le mathématicien.

« We are scientists, not gods »

L’un des intérêts du film est de reconstituer les débats qui ont lieu au sein de la communauté scientifique de Fort Alamos, entre les partisans de la poursuite du travail et ceux qui estiment que des scientifiques ne sauraient se substituer à des dieux : en travaillant sur les bombes atomique et à hydrogène, les scientifiques ne font-ils pas montre du même orgueil que Prométhée ? « We are scientists, not gods », déclare ainsi Ulam à son collègue Edward Teller.

L’orgueil des scientifiques devenus démiurges informe l’ensemble du film. Le casting, par exemple, fait signe vers un Los Alamos aux allures de Tour de Babel, métaphore biblique de l’orgueil humain : Thor Klein a fait appel à des acteurs et actrices d’origines différentes qui, chacun leur tour, grâce à un accent présent sans être trop prononcé, rend compte de la diversité des scientifiques. Au premier chef, bien sûr, Philippe Tlokinski, qui prête son léger accent polonais aux tourments de Stanislaw Ulam, mais aussi Esther Garrel, aux accentuations françaises. Le personnage de John von Neumann, qui développe un cancer après les essais, apparaît pour sa part comme un Icare moderne.

« I did that »

On l’aura compris, ce jeu avec les mythes et la religion sert surtout à poser la question de la morale scientifique. Qui, finalement, s’arroge le droit de distinguer le bien du mal ? Cette réflexion est celle du personnage d’Ulam dans ses rapports à ses collègues, mais aussi à ses proches : pour participer à cette bombe destructrice, il a abandonné son jeune frère, qui a appris seul la mort de leur sœur aînée, tuée par des nazis. Il traîne alors sa solitude comme sa culpabilité, errant dans le désert du Nouveau Mexique.

Les plans larges sur ce même désert, qui reviennent à intervalles réguliers tout au long du film, mettent en évidence la faute première des scientifiques : lieu d’essai des bombes thermonucléaires, Los Alamos se modifie sans cesse. La seule participation au projet devient alors une véritable faute originelle, qui lie indéfectiblement les scientifiques au martyre des civils de Nagasaki. « I did that », déclare Ulam quand il apprend le nombre de victimes de la bombe.

Loin de se résumer au genre du biopic, Les Aventures d’un mathématicien nous livre une belle réflexion sur le rapport entre science et éthique.

En salles le 1er décembre.

Visuel : © Dragonfly Films GmbH – Mirror Productions Shipsboy – Zischlermann Filmproduktion GmbH–Erfttal Film Und Fernsehproduktion GmbH

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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