Essais
Vie,vieillesse et mort d’une femme du peuple: le poignant témoignage de Didier Eribon.

Vie,vieillesse et mort d’une femme du peuple: le poignant témoignage de Didier Eribon.

23 May 2023 | PAR Jean-Marie Chamouard

 

Didier Eribon est philosophe et sociologue. Il décrit la maladie, l’admission en maison de retraite et la mort de sa mère. A son expérience de fils s’associe une réflexion approfondie sur la vieillesse et la dépendance dans notre société.

Une femme du peuple

Cette fois, c’est inexorable! Avec l’aggravation des troubles de la marche, l’apparition de troubles cognitifs, la répétition des chutes, la mère de l’auteur doit rentrer en maison de retraite, en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Didier Eribon décrit longuement le moment décisif de l’admission, un changement radical et définitif dans la vie de sa mère. Malgré les propos rassurants de ses fils: «Ils vont bien s’occuper de toi ici, tu verras, tu seras bien ici», ce moment est un arrachement à sa vie d’avant, tout juste consenti, «car il n’y a pas d’autre solution». C’est l’entrée dans un monde clos, un monde de solitude et de relégation sociale. Peu à peu son état de santé se dégrade, elle perd toute autonomie et devient de plus en plus confuse. Elle paraît avoir renoncé, plus ou moins consciemment, à vivre et avoir succombé d’un «syndrome de glissement» moins de deux mois après son arrivée.
Avec elle, disparaît celle qui reliait son présent à son passé. Alors Didier Eribon revoit la vie de sa mère, femme de ménage puis ouvrière, mariée pendant 56 ans à un homme qu’elle n’aimait pas mais dont elle a eu quatre fils. Il fait cette constatation terrible, ma mère a été malheureuse toute sa vie. Il raconte comme il s’est rapproché de sa mère lors des dernières années de sa vie, malgré le fossé culturel, malgré son racisme consternant. Il parle aussi de son parcours de «transfuge de classe», sa réussite sociale, universitaire comportant une part de trahison et inévitablement une mauvaise conscience. «Fils n’oubliez pas que vos mères sont mortelles». Cet avertissement est aussi une émouvante déclaration d’amour à sa mère, malgré toutes leurs divergences.

Un porte parole du grand âge

Le témoignage de Didier Eribon sur la vieillesse et les EPHAD est très touchant, très percutant aussi par la justesse, la sincérité du propos. Le portrait de sa mère est très vivant, riche en couleurs en particulier quand il revoit des scènes de la vie quotidienne de son enfance. Son ressenti de fils devant la fin de vie de sa mère s’harmonise parfaitement avec une réflexion approfondie philosophique et sociologique. L’ancrage biographique de son travail théorique est réussi. L’analyse sociologique est fine sur les croyances, le mode de vie de la classe ouvrière mais aussi les violences conjugales ou la construction de l’identité. Le propos est plus politique lorsqu’il dénonce le manque de moyens dans les maisons de retraites qui peut conduire à une maltraitance des malades et du personnel. Il s’appuie sur l’ouvrage de Simone de Beauvoir, «La vieillesse» pour élargir le propos. Les personnages âgées dépendantes sont dépourvues de parole collective, invisibles. Comment être leur porte parole? C’est l’un des buts de l’auteur: «Faire entendre leur voix».
Didier Eribon parvient à leur donner une voix dans ce livre passionnant, un livre très utile pour comprendre les enjeux familiaux et sociétaux du vieillissement.

Didier Eribon, Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, Flammarion, 336 pages, 21 euros, Sortie le 10 05 2023

Visuel: © couverture du livre, éditions Flammarion

Cannes 2023, Compétition : Club Zero, satire fade et pas drôle
Cannes 2023, Compétition : Banel et Adama, juste combat un peu trop beau
Avatar photo
Jean-Marie Chamouard

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration