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Cannes 2023, Compétition : Club Zero, satire fade et pas drôle

Cannes 2023, Compétition : Club Zero, satire fade et pas drôle

23 May 2023 | PAR Geoffrey Nabavian

Dans un lycée, des élèves suivent une diététicienne folle, appelant à manger zéro aliment. Une satire tellement évidente qu’elle laisse indifférent. Ou énerve un poil.

Il y a d’abord cette musique. Inutile, fatigante, d’une répétitivité qui tourne complètement à vide. Le contraire total d’une bande originale obsédante. Elle rythme les passages d’une scène à une autre – des scènes qu’on pourra juger trop vite coupées, au passage – en donnant juste l’impression de parodier “la musique qu’écoutent les bobos des années 2020” et pas grand-chose de plus. Elle évoque vaguement les modes de vie axés sur la nature, le bien-être… Ca s’arrête un peu là.

Il y a ensuite les gags, quelque peu à son image. “Bon sang tu vas manger tout ça ?” demande le lycéen avec seulement une frite façon potatoe dans sa grande assiette. On guette le plan suivant… Gagné ! dans l’imposante assiette dans l’élève en face, il y a trois frites ! On soupire. “C’est très bien que nos enfants, au lycée, apprennent à moins se gaver, ils travaillent pour la planète” dit un père à sa femme alors qu’ils sont assis dans le jardin de leur maison avec grande piscine, et que l’arrosage automatique de leur gazon tourne à plein régime. On soupire.

Mauvaise mise en scène

Club Zero n’est pas drôle et pas dérangeant. Du moins on peut le recevoir comme tel. Il veut faire la satire d’un sujet très d’actualité : soit. Pourquoi pas. Mais ce qu’il montre est totalement évident. On peut n’avoir totalement aucune surprise en voyant ces lycéens, et leurs enseignants ensuite, se mettre dans des poses pour “manger consciemment”, puis manger de moins en moins jusqu’à ne plus rien ingurgiter, et ainsi de suite, sous l’influence de la diététicienne folle que joue Mia Wasikowska.

En fait, c’est un élément précis qui paraît résumer tout le problème du film : la mise en scène de Jessica Hausner. Son sujet et son enjeu ne sont pas légers. Son précédent film Little Joe, par exemple, était bien plus ouvert et original côté thème traité, sujet central et progression du scénario. Ici, donc, au lieu de peser zéro grammes, le risque de la lourdeur peut guetter, avant même que le premier plan ne soit tourné. Alors, pourquoi faire autant arty côté mise en scène ?

Pas ou peu d’humain

Impossible de ressentir un ton inquiétant : tout est posé dès le départ. On peut avoir l’impression triste que les protagonistes sont de purs rouages. Même pas des insectes en bocal observés : des petites roues tournant vers un but annoncé d’emblée conduit par la réalisatrice. On pense tristement à un exemple comme Salo et à ses jeunes personnages conduits vers un destin atroce. Eux s’agitent, remuent. Impossible pour eux de faire quoi que ce soit pour éviter ce qui les attend : pourtant, les voir paniqués ou éplorés, c’est déjà quelque chose. Une existence que le réalisateur leur donne…

Par-dessus tout, on pense à Ulrich Seidl, qui est l’un des co-producteurs de Club Zero. S’il n’a pas signé comme réalisateur que du grandiose – on songe à son film sur les cures d’amaigrissement, Paradis : Espoir, assez médiocre – lorsqu’il est à son meilleur il use d’un procédé redoutablement juste. Il utilise un peu de postures arty pour poser un cadre très réaliste en le stylisant juste ce qu’il faut pour faire émerger son horreur cachée, et ensuite, il lâche dedans un être en perdition, s’agitant pour ne pas sombrer alors qu’il sombre depuis longtemps déjà. Puis il observe ce qu’il advient. Jessica Hausner, elle, tente ici de montrer une situation qui dérape gravement. En la montrant, elle ne la laisse pas déraper. En faisant arty pour faire ironique, elle piège son sujet. L’anodin peut cacher l’horreur : ici, on en reste à l’anodin.

Le Festival de Cannes 2023 se déroule jusqu’au 27 mai.

Retrouvez tous les films du Festival dans notre dossier Cannes 2023

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Visuel : © Coproduction Office / Fred Ambroisine

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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