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Verdun, récit d’une bataille – mémoire par Philippe Pétain

Verdun, récit d’une bataille – mémoire par Philippe Pétain

19 May 2016 | PAR Franck Jacquet

La Grande Guerre et ces célébrations n’ont pas vraiment fait vendre, contrairement aux succès éditoriaux fréquents de tout ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. On peut le déplorer tant 1914 apparaît en de nombreux points plus déterminants que 1939-1945 pour le cours de l’Histoire du monde… Pourtant le récent pataquès médiatique sur le concert de Black M rappelle que Verdun reste un abcès marquant pour la mémoire nationale. Cet objet mémoriel, il en est question dans l’édition de La bataille de Verdun de Philippe Pétain, protagoniste de la seconde partie de la « mère des batailles de tranchées ». Ce texte (et quelques autres) est très clairement restitué et présenté par Bénédicte Vergez-Chaignon. A lire pour ceux qui souhaitent comprendre l’objet de la polémique, de certains non-dits, et en vue des célébrations de cette année.  

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Visuel Bataille de VerdunPétain par lui-même

La bataille de Verdun fut un texte publié durant l’entre-deux-guerres par un Philippe Pétain alors héros, déjà positionné dans la réaction, ce que tous ne voulaient complètement voir tant le halo de la bataille l’entourait. Il s’en sert donc comme argument politique. Le texte repris ici est issu de la première édition et se constitue en un récit de militaire rigoureux sur son rôle, sa perception des combats, la stratégie et la tactique. Evidemment, on voit poindre les critiques de ceux qui ont engagé la bataille avant lui. Il n’oublie pas cependant le rôle de Nivelle. Evidemment, Pétain n’est pas un diplomate (même s’il remplit quelques fonctions en la matière, « préfigurant » ainsi son rôle politique de 1940) et il n’est pas question des causes de la guerre (sur les origines culturelles et intellectuelles de 1914, la critique des regards philosophiques est à lire ici) ; il se concentre sur la bataille, SA bataille (il est l’acteur principal du récit ; seul son point de vue est mis en avant).

Pétain expose donc sa réflexion a posteriori sur ce que fut son rôle : il rappelle le rôle des forts (il met en avant Douaumont sans cesse) et sa politique de ravitaillements (il s’agit bien d’une politique ici). Evidemment, l’historien de la tactique militaire appréciera une représentation classique et un texte qui témoigne de ce qu’était l’art militaire de la guerre de tranchée et de positions durant la Grande Guerre. Avec un peu de recul, on voit à quel point le Maréchal est donc l’un des représentants de cet art, si anachronique déjà dans les années 1930 : la guerre est une bataille de positions et la réflexion sur le ravitaillement est encore exempte de réflexion sur l’effacement de la frontière entre front et arrière… Surtout, le tenant de la terre néglige les airs qui allaient être si déterminants au moment même où son texte se répand parallèlement à son aura politique : les années 1930 et la Guerre d’Espagne (les fameux bombardements allemands). Pétain apparaît donc comme un bon tenant de cette France de la Terre qu’il défend déjà, le nez sur le théâtre des opérations, figurant bien l’idée du bouclier de la Ligne Maginot, alors qu’il s’agit désormais d’opérations combinés entre mer, terre et airs et de circulations rapides et fluides entre front et arrière. La référence au monde agricole est récurrente dans les lignes qu’il écrit, comme s’il oubliait qu’il s’agissait d’abord d’une guerre industrielle.

C’est donc un beau témoignage de la réflexion militaire de l’entre-deux-guerres en France qui est ici reproduit.

Présentation de Pétain par Bénédicte Vergez-Chaignon, prix de la biographie politique 2014 (voir lien)

Pétain politique

L’éditeur et Bénédicte Vergez-Chaignon, docteur en histoire et spécialiste de Pétain et de la Seconde guerre mondiale, ont choisi de restituer le texte dans son contexte. Pétain est un militaire, mais il est aussi un politique dans une société qui est hantée par une victoire à la Pyrrhus. Apparaissent ainsi plusieurs discours de célébration prononcés par Pétain à destination d’anciens combattants mais pas seulement. Car ces discours comme La bataille de Verdun elle-même répondent à des attentes de la société : ce sont des commandes, des attentes d’un leader soit pour justifier une entrée l’Académie, soit pour se ménager une clientèle de poilus, ou encore pour gravir des échelons en matière diplomatique. Pétain est un piètre orateur, il est froid (il ne l’était pourtant pas en privé, grand collectionneur de femmes qu’il fut !), mais on en fait un héros.

Ces textes très bien restitués dans leur contexte par Bénédicte Vergez-Chaignon montrent à quel point la mise en mémoire de la bataille, si elle fut néfaste parce qu’elle contribua à ancrer une idée tactique déjà archaïque, était d’abord un moyen pour affirmer une carrière hors des armées.

Visuel : couverture [droits – Perrin]

Informations livre : Philippe PETAIN, La bataille de Verdun, Paris, Perrin (« Tempus »), Octobre 2015, 224p. –  Préface : Bénédicte VERGEZ-CHAIGNON – ISBN : 9782262064051

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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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