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“Avec toutes mes sympathies” d’Olivia de Lamberterie, poignant récit sur son frère disparu

“Avec toutes mes sympathies” d’Olivia de Lamberterie, poignant récit sur son frère disparu

14 September 2018 | PAR Jérôme Avenas

Publié par les Éditions Stock, le très beau livre d’Olivia de Lamberterie est un texte qui vous accompagne longtemps après l’avoir refermé. 

[rating=4]

« Ce livre qui n’aurait jamais dû exister, puisque tu n’aurais jamais dû mourir » écrit Olivia de Lamberterie, critique littéraire, responsable du service Livres de la Rédaction du magazine ELLE. Celle dont le métier consiste à lire les livres des autres, malgré de nombreuses sollicitations n’était jamais passée à l’écriture. Mais l’impossible a triomphé et ce livre, si beau, s’est imposé. Elle l’a écrit « pour chérir [s]on frère mort (…) pour imprimer sur une page blanche son sourire lumineux et son dernier cri. » La journaliste a perdu son frère le 14 octobre 2015. Alex de Lamberterie a sauté du pont Jacques-Cartier, à Montréal, terrassé par une mélancolie sournoise mal diagnostiquée. Si l’écrivaine a souvent été pour ce frère adoré un Orphée, descendant très loin dans les enfers de la maladie sans jamais parvenir à rejoindre réellement son Eurydice, Avec toutes mes sympathies n’est pas un chant de lamentations. C’est un chant de vie. 

Le livre est rythmé par la question lancinante, légitime « il est où mon frère ? » et structuré par un aller retour incessant entre deux zones temporelles, juste avant et juste après le désastre, jusqu’à ce qu’elles se rejoignent et se nouent autour du drame. L’absence du petit frère adoré ouvre une remémoration qui offre l’occasion de portraits tendres et lucides (les grands-parents !) Le livre frappe par une extrême justesse de ton. Si l’on doit pleurer, c’est malgré l’écriture qui ne cherche jamais à nous entraîner du côté du « pathos ». Il y a quelque chose d’aérien parfois, presque de léger dans l’évocation de souvenirs cocasses. Au cœur de la tragédie intime, l’écrivaine regarde avec ironie la comédie humaine. En ce sens, le récit irrévérencieux d’un défilé de mode est jubilatoire. 

« Je ne me suis jamais arrêtée de lire. Jusqu’à aujourd’hui, où la mort me rend les mots étrangers. » Pour l’écrivaine, la saturation des mots des autres est parvenu à son paroxysme « j’ai la mémoire des autres. Je connais les souvenirs d’enfance de Patrick Modiano sur le bout des doigts (…) », l’écriture creuse ce que comblait le silence. Olivia de Lamberterie, en écrivant, se débarrasse du trop plein, elle expulse. Des titres de livres apparaissent par exemple dans le texte, comme un tissage, tel « rien ne s’oppose plus à cette nuit ». Pour parvenir à lire de nouveau les mots des autres, il faut d’abord s’en débarrasser, s’en éloigner, en passer par l’écriture du frère disparu. Quelques écrivains sont là aussi comme un phare dans la nuit, Joan Didion, Philippe Jaenada et Max Porter (son magnifique La douleur porte un costume de plumes). 

Ce livre n’est pas seulement un témoignage et un hommage poignants, mais aussi la naissance d’une écrivaine. Il y a des formules qui brillent par leur justesse « la mort n’efface pas la beauté, elle la rend hors de portée », des formules qui claquent aussi, terribles qui vous obsèdent longtemps après la lecture : « Je pense qu’on va tuer notre mère. » écrit-elle en évoquant le moment où elle doit annoncer avec ses deux sœurs la terrible nouvelle à leurs parents. 

Comme souvent avec ce genre de texte, le lecteur se demande ce qu’il est possible d’écrire après et dans le cas d’Olivia de Lamberterie il est certain d’une chose : il veut en lire plus.  

Olivia de Lamberterie, Avec toutes mes sympathies, Éditions Stock, août 2018, 256 pages, 18,50€

 

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