
Pourquoi les pauvres votent à droite de Thomas Franck, résonance française d’un modèle américain
Progressistes en limousine la-bas, gauche caviar chez nous… A la fin des années 60, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche, conquérant et égalitaire, en un populisme de droite faisant son miel dans la crainte de millions d’ouvriers et d’employés d’être rattrapés par plus déshérités qu’eux. C’est alors que la question de l’insécurité resurgit. Elle va embourgeoiser l’identité de la gauche, perçue comme laxiste, efféminée, intellectuelle, et prolétariser celle de la droite, jugée plus déterminée, plus masculine, moins « naïve ».
Comment un électorat ouvrier traditionnellement de gauche a-t-il basculé vers la droite ? Thomas Franck tente de répondre à cette question en menant l’enquête dans son Kansas Natal où la tradition populiste de gauche est vive, mais dont la disparition est ancienne. Il tente d’éclaircir et de comprendre un paradoxe, un phénomène contradictoire, qui n’est pas spécifique à l’Amérique. De nombreux exemples européens nous confirment cette tendance à la droitisation. Crise, insécurité, précarisation, et instabilité sociale, ont conduit une partie du prolétariat et des classes moyennes à rechercher la sécurité ailleurs, dans un univers « moral » qui réhabiliterait des comportements plus anciens, plus familiers, mettant en avant le conservatisme sur le terrain des valeurs. Outre-Atlantique, la dimension religieuse a propulsé le ressentiment conservateur davantage qu’en Europe, pour faire finalement fusionner puritanisme et ultralibéralisme…
En 2007, sur le modèle de cette Amérique de Nixon oubliée « qui ne crie pas », Nicolas Sarkozy s’adressait à cette France « qui ne se plaint pas », « la France qui souffre », « qui se lève tôt », et qui « aime l’industrie ». Le discours de cette « droite décomplexée » se nourrit de la décadence morale et du déclin national. Ordre, autorité, travail, mérite, moralité, famille, sont des mots qui terrorisent une gauche qui a peur de faire peur, et qu’on pourrait taxer de populiste. Pour le parti démocrate, comme pour les socialistes français, la peur de faire peur, être vraiment de gauche, devient paralysante.
Aux États-Unis, comme en France, la droite profite des transformations sociologiques et anthropologiques, en particulier d’un affaiblissement des collectifs ouvriers et militants, qui a conduit nombre d’électeurs aux revenus modestes à vivre leur rapport à la politique et à la société sur un mode plus individualiste, plus calculateur. Et finalement, pour l’électorat ouvrier, le problème n’est pas cette population riche et privilégiée qui de toute façon est inaccessible. Le problème est cette population assistée, issue de l’immigration, et qui passe son temps à frauder au lieu d’aller travailler.
Pourquoi les pauvres votent à droite est un ouvrage que nous conseillons vivement à tous ceux qui ont le désir de mieux comprendre les véritables enjeux électoraux de nos partis politiques français. Bien que l’enquête soit menée dans la société américaine, avec ses problématiques propres, elle fait écho au fonctionnement de nos sociétés occidentales européennes dans un contexte de crise économique et politique.
Pourquoi les pauvres votent à droite, Thomas Franck, préface de Serge Halimi, traduit de l’anglais par Frédéric Cotton, éditions AGONE, 13 euros.