
L’excellent polar contadin de Tom Bouman
Les Éditions Actes Sud publient une traduction de « Dry bones in the valley » de Tom Bouman, un polar rural d’une grande habileté écrit avec une maîtrise impressionnante.
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L’une des grandes qualités de Tom Bouman est de savoir écrire, l’air de rien, un roman qui se découvre peu à peu polar. Les premières pages ne suent pas le crime. Le livre devient noir comme par accident, en trébuchant sur un macchabée. Il bifurque, comme s’il décidait de prendre une direction qu’il n’avait pas prévue. On a même l’impression, parfois, que le genre n’est qu’un prétexte. L’écrivain américain qui signe ici un premier roman (paru aux États-Unis en 2014) fait preuve d’un talent fou. Dans ce livre habile, la tension ne monte pas d’un cran à chaque chapitre. Il y a une électricité constante, un grésillement discret mais audible. Comme un serpent, Tom Bouman entortille autour du lecteur une histoire qui va le tenir dans une crainte immobile pendant 352 pages au son des « bluegrass » et du banjo « clawhammer ».
Henry Farrell, « flic de patrouille » vit au milieu des collines du Nord-Est de la Pennsylvanie, terre de fracking où la graine de trafiquant s’épanouit dans les labos roulants de production de « Meth ». En charge de la surveillance d’un territoire immense, Farrell connaît le moindre recoin du comté, le moindre marais, le moindre rocher. La découverte d’un cadavre amputé d’un bras va le lancer dans une enquête qui va le confronter à une population en proie au désespoir de la solitude et de la misère. Farrell connaît bien les habitants du comté et cette proximité créé une atmosphère très particulière de huis-clos, amplifiée paradoxalement par une géographie qui invite à la solitude. L’instinct animal de propriété confine au sentiment de possession. Il exacerbe tout. La pléthore d’armes à feu en tout genre – d’ailleurs, c’est un modèle ancien, un fusil à silex qui est au cœur de l’enquête – dont se barde le moindre propriétaire pour défendre son bout de terre, rappelle au lecteur francophone qu’il se trouve bien aux États-Unis. Ça tire à tout calibre, dans tous les sens.
Mais l’image d’un monde rural sombre, en quête de sens résonne avec les problématiques du territoire français. Henry Farrell est venu chercher quelque chose dans ces déserts ruraux que l’on trouve dans tous les pays, espaces prisés par ceux qui veulent « décrocher », s’éloigner de la ville : « J’avais toujours postulé pour des affectations en zone rurale, parce que quelque chose en moi réclame de l’espace et de l’ennui. Il y en a qui ont besoin d’être entourés. Il y en a qui adorent bavarder. Pas moi. » L’écriture de Tom Bouman est intense, instinctive. Elle est servie par l’admirable traduction d’Alain Defossé. On attend avec impatience la publication de la suite des aventures de Henry Farrell, « Fateful mornings » paru aux États-Unis en 2017.
Tom Bouman, Dans la vallée décharnée, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Alain Defossé, Éditions Actes Sud, février 2018, 352 pages, 22,50 €