Les écrits juifs d’Hannah Arendt compilés chez Fayard
Publiés en 2007 par Schocken pour qui Arendt avait travaillé à New-York, The Jewish Writings, compilés par Jerôme Kohn, ont également été édités à l’automne 2011 chez Fayard. Un édition revue et corrigée pour le public français, avec des notes et des traductions de l’Anglais et de l’Allemand signées Sylvie Courtine-Denamy. L’on y retrouve une Hannah Arendt passionnée d’actualité, fidèle à une identité juive qu’elle a toujours pleinement vécue. Aux côtés des thèmes de réflexion bien connus de la politiste (le rôle central de l’antisémitisme dans les systèmes totalitaires, Eichmann…), l’on découvre une réflexion à la fois historique et politique sur cette identité qu’Arendt refusait de qualifier de “minoritaire” tant qu’elle n’était pas majoritaire dans un État des juifs.
« Un peuple ne peut constituer une minorité quelque part qu’à condition qu’il constitue une majorité ailleurs. » Hanah Arendt (p.262).
« La façon dont Arendt prend en compte la tragédie juive relève toujours de la même démarche. D’un côté, il fallait saisir comment le sort des Juifs était pris dans un mouvement plus général- en ce sens on ne peut pas comprendre leur histoire si on ne la met pas en rapport avec cet arrière-plan- et de l’autre, comment à l’intérieur de ce mouvement général, ils étaient en quelque sorte aux premières lignes. » Martine Leibovici.
« Hannah Arendt a probablement écrit d’avantage sur les affaires juives en général que sur tout autre sujet »(p. 19), nous explique son éditeur américains qui a classé les papiers et articles inédits d’Arendt selon la décennie où elle les a écrites. Alors que ses principaux essais sur la questions juives étaient déjà réunis en anglais sous le titre “The Jew as a Paroah” et en français dans le pércieux opus “La tradition cachée” (Christian Bourgois, 1987), cette nouvelle compilation prend en compte les nombreux écrits journalistiques qu’Arendt a publié à Paris (où elle a quand même vécu 7 ans) et aux États-Unis où elle écrivait pour des magazines juifs comme “Aufbau”, “The Menorah Journal”, “The Partisan Review” et le fameux “Commentary”.
Ainsi à ces essais clés que sont “L’Aufklärung et la Question juive” , “Le juif comme Paria”, “Nous autres réfugiés”, s’ajoutent de nombreux articles datant notamment des années 1930 où le sionisme joue un rôle capital dans l’engagement de Hannah Arendt. C’est selon elle “le seul mouvement à être prêt”. Après ses critiques des années 1940 (Notamment à partir de “Réexamen du sionisme”, 1945, présent dans ce volume) et après le scandale qu’a causé sa couverture du Procès Eichmann pour le “New-Yorker”, Arendt a pu laisser le souvenir d’une philosophe très critique à l’égard d’Israël. Cette nouvelle collection d’essais montre avec brio combien elle a défendu l’idée d’une nation juive (et surtout d’une armée juive, qui est pendant la guerre, la grande question qui occupe Arendt : « Nous ne pouvons lutter contre l’antisémitisme que si nous combattons Hitler les armes à la main » p. 277).
Mais plus que les articles, qui sont parfois un peu répétitifs, ce sont surtout certains papiers personnels qui font toute la richesse de cette édition : une ébauche du premier volume des “Origines du totalitarisme”, “l’Antisémitisme”, un court texte incisif sur “la Question juive” qui résume bien la pensée de l’auteure sur cette question, et surtout la fameuse lettre de réponse aux accusation de Scholem après le procès Eichmann, ainsi qu’une autre – inédite – au journaliste Samuel Grafton, où la vivacité de l’émotion rivalise avec l’acuité de la réflexion. des textes à la hauteur de l’inoubliable entretien avec Günter Gauss de 1964 « Qu’est-ce qui reste ? ».
Et l’on trouvait d’ailleurs cet entretien sur le rapport d’Arendt à l’Allemagne dans le mince opuscule de la “Tradition cachée” mais pas dans ce nouveau volume.C’est bien là que l’on touche les limites du projet de ces “Ecrits juifs” : la pensée du judaïsme n’existe pas chez Arendt en dehors de sa pensée politique et de son analyse des régimes politiques modernes européens. Dès lors peut-on espérer réunir tous ses “écrits juifs” sans y adjoindre son bouleversant récit de retour en Allemagne après la Guerre (“Commentary”, 1950) ? Ou encore ses cours sur Brecht et ses notes sur Kafka? Et si l’on souhaite même aller plus loin, entre deux hommages à la tradition romaine, même les derniers textes les plus philosophiques et les moins politiques d’Arendt reviennent parfois au don de la loi aux juifs. C’est en tout cas ce qu’à montré Martine Leibovici dans sa thèse, dont il faut lire le résumé (Hannah Arendt et la tradition juive, Labor et Fides, 2003) en complément de ces textes bruts à la sélection encore trop stricte et aux notes parfois floues.
Hannah Arendt, Ecrits juifs, dir. Jérôme Kohn, Ron H. Feldman, trad., Sylvie Courtine-Denamy, Fayard, 752 p., 28 euro. Sortie le 2 novembre 2011.
« C’est précisément parce que les anciennes traditions étaient mortes que l’on a vu naître la culture sous tous ses aspects positifs et ridicules […] La culture est par définition, séculière. Elle requiert une sorte d’ouverture d’esprit dont aucune religion ne pourra jamais se montrer capable […] ni la religion ni les idéologies ne se résigneront – pas plus qu’elles ne peuvent le faire- à n’être que les parties d’un tout. L’historien, bien que ce soit rarement le cas d théologien, sait que la sécularisation ne constitue pas la fin de la religion. » p. 459.
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