
Le sillage de l’oubli de Bruce Machart, comme une légende d’automne…
« Ils sont tous les quatre harnachés et avancent deux par deux devant leur père qui marche, un pied dans chaque sillon qu’ils viennent de tracer, crachant du jus de chique, noirci entre les incisives et faisant régulièrement claquer son fouet pour rappeler ses fils à l’ordre et s’assurer que le soc avance bien droit. »
Premier roman éblouissant, Le sillage de l’oubli a valu à son auteur d’être comparé par une presse américaine enthousiaste à William Faulkner. Bruce Machart est né au Texas. Il est originaire d’une contrée rurale proche du comté de Lacava, où se déroule l’intrigue du Sillage de l’oubli.
Texas, 1895. Vaclav Skala, émigré tchèque, propriétaire terrien, voit la seule femme qu’il a jamais aimé mourir en mettant au monde leur quatrième fils, Karel. Vaincu par la douleur, l’homme entraîne ses enfants dans une vie austère et brutale, et ne rêve que d’ agrandir son domaine. Pour lui, seuls comptent désormais ses chevaux de course montés par Karel, et les paris qu’il lance contre ses voisins pour gagner toujours plus de terres. Mais l’enjeu est tout autre lorsqu’un propriétaire mexicain (Villaseñor) lui propose un pari insolite qui engage l’avenir des quatre frères. Karel s’élance dans une course décisive, avec pour adversaire une jeune fille qui déjà l’obsède.
Nous voilà dans l’Ouest américain, whisky de mais, chique noire et gluante de tabac, grandes fermes desséchées par un soleil hostile qui sentent le purin et la sueur acre. Bienvenue dans un monde où les hommes expriment la douleur par la brutalité. La souffrance se vit au quotidien. Pour préserver ses chevaux trop précieux, Vaclav attelle ses propres enfants à la charrue, pour les passer à tabac malgré leur épuisement s’ils lui désobéissent. Un pari perdu le contraint à se séparer de ses trois fils aînés, ses trois bêtes de somme, pour trois mariages arrangés avec les filles du mexicain Villaseñor, un autre père à poigne. La famille éclate alors. Dans ce décor austère, Karel hésite entre aventure virile, passion amoureuse, et la satisfaction du devoir accompli.
Le Sillage de l’oubli est une tragédie, le portrait sans concession d’une famille déchirée en quête de rédemption. Karel est rongé par une culpabilité dévastatrice : « Il avait tué leur mère, leur père le détestait pour ça et avait refusé, le jour de la naissance de Karel et tous ceux qui avaient suivi, de le prendre dans ses bras. »
L’histoire n’est pas d’une grande originalité, on a souvent l’impression de revivre une Légende d’automne. Mais Bruce Machart sait nous coller aux pages grâce à une écriture puissante et sans concessions, alternant entre passé et présent. Ce roman, qui est son premier roman, est une véritable réussite.
Le Sillage de l’oubli de Bruce Machart, éditions Gallmeister, traduit de l’américain par Marc Amfreville, sorti en librairies depuis le 12 septembre, 10 euros.