Fictions
« Le Silence » de Dennis Lehane : En banlieue, personne ne vous entend crier

« Le Silence » de Dennis Lehane : En banlieue, personne ne vous entend crier

24 May 2023 | PAR Julien Coquet

Prenant place lors de l’été 1974, en plein combat entre les partisans et les opposants à la déségrégation des écoles publiques à Boston, le dernier roman de Dennis Lehane suit une Mère Courage à la recherche de sa fille disparue.

Au départ de la rédaction du Silence, il y a ce souvenir, dans la mémoire de Dennis Lehane. A neuf ans, un soir d’été 1974, la voiture conduite par son père se retrouve dans le quartier de South Boston, habité par la communauté d’origine irlandaise, où se déroule alors une violente manifestation anti-busing. Quelques semaines plus tôt, le juge fédéral W. Arthur Garrity Jr avait jugé que les élèves noirs étaient systématiquement désavantagés. Conséquence : il ordonnait de « transférer quotidiennement en bus des enfants des quartiers majoritairement blancs vers des écoles des quartiers majoritairement noirs, et inversement, afin de mettre un terme à la ségrégation dans les lycées publics de la ville ». Peu avant la rentrée scolaire de septembre, les manifestations se multipliaient et le jeune Dennis Lehane se retrouvait « plongé au cœur de la rage d’une communauté tout entière ».

C’est sur la préparation d’une manifestation que s’ouvre Le Silence. Mary Pat Fennessy a décidé de prendre part aux rassemblements. Pour elle, hors de question que sa fille Jules, dix-sept ans, soit transférée dans un lycée majoritairement fréquenté par des élèves africains-américains. Mais, un soir, sa fille ne rentre pas à la maison. Au même moment, le fils d’une de ses collègues de travail, noir, se fait mortellement percuter par un train dans une station située à Southie (South Boston), quartier blanc. A la recherche de sa fille, Mary Pat fait l’expérience du silence, la communauté d’origine irlandaise cachant bien des secrets.

Dennis Lehane, dont le talent n’est plus à prouver (Mystic River, Shutter Island, Gone, Baby, Gone…), situe son roman au sein de la communauté d’origine irlandaise de Boston, communauté qu’il a lui-même longtemps fréquenté. « C’est une atmosphère qui baigne dans l’alcool, la religion et la politique, et qui est sujette à de brusques fluctuations entre espoir et désespoir, compassion et indifférence, amour et haine ». Autre thème récurrent chez l’écrivain, celui de la violence faite aux enfants (les infanticides de Shutter Island, la disparition d’une petite fille dans Gone, Baby, Gone), ici mis en scène par la disparition de Jules, ou encore le meurtre du jeune Noir Auggie Williamson, tous deux victimes de la brutalité et de la bêtise de leurs aînés. Mais surtout, Le Silence se distingue par son personnage de Mère Courage. Mary Pat, déjà endeuillée par le décès de son premier mari et de son fils mort d’une overdose, divorcée, n’a plus que sa fille. Prête à tout pour la trouver, au bord des larmes mais emportée par une infinie colère, Mary Pat découvrira la vérité sur la disparition de son enfant.

« Elle prend une bière, son paquet de Slims et un cendrier pour aller s’asseoir dans la salle de séjour, puis elle allume la télé et tombe directement sur les infos, directement sur l’affaire Auggie Williamson. Les enquêteurs pensent qu’il a été mortellement heurté par la rame de métro entre minuit et une heure du matin et que le choc l’a projeté en bas du quai. Le conducteur n’a pas du tout senti l’impact. Les trains ont continué à passer près du corps toute la nuit jusqu’à l’interruption du service, et quelques-uns sont passés ce matin avant qu’un conducteur ne le remarque dans le creux sous le quai. La police refuse de confirmer les rumeurs selon lesquelles on aurait trouvé de la drogue sur lui et elle ne fournit pas d’explication concernant sa présence sur le quai la nuit dernière, elle ne dit pas non plus pourquoi (ou si) il a sauté ou s’il a été poussé en direction de la rame. »

Le Silence, Dennis LEHANE, traduit de l’américain par François Happe, Editions Gallmeister, 448 pages, 25,40 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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