
Journal d’un raté d’Edouard Limonov : fierté de la misère
A l’occasion de la sortie du roman d’Emmanuel Carrère sur Edouard Limonov (P.O.L., voir notre critique), Albin Michel réédite l’œuvre sulfureuse qui a fait connaître ce personnage dans les milieux littéraires français. Publié en 1980 chez Ramsay sous le titre choc “Le Poète russe préfère les grands nègres”, cette chronique des bas-fonds new-yorkais par un exilé russe est un témoignage prenant. Même si littérairement, les petits paragraphes nerveux de Limonov restent en deçà de bien de ses contemporains.
Exilé magnifique à New-York, frigorifié dans sa piaule d’hôtel à trois sous, Edouard Limonov se ballade en blanc dans un New-York où il a faim de viande, au propre et au figuré. Sa femme, la superbe Elena l’a quitté pour de plus puissantes drogues et un tapin de luxe lui permettant de se shooter. La trentaine rayonnante, Limonov n’en est pas moins réduit à la misère et l’attente d’une action politique impossible. Il séduit la généreuse gouvernante d’un millionnaire et lui estorque de quoi payer son loyer, puis, quand elle le quitte, il devient majordome du millionnaire. En attendant, son corps crie famine et Limonov accepte près de lui toute chaleur humaine. Les femmes sont belles quand elle sont mûres, et les hommes sont sexués quand ils sont noirs. Affichant beaucoup de superbe dans la dèche, Limonov passe des jours et des nuits à baiser… en attendant son heure pour un coup d’État.
Pleine de vie et haute en couleur, cette chronique de la vie d’un jeune russe exilé à New-York brusque, séduit, ennuie aussi. Écrites à la va vite dans un style s’apparentant souvent à du sous-Bukowski, les entrées du journal de Limonov offrent néanmoins quelques fulgurances. C’est surtout pour le témoignage et le vitalisme stimulant du texte qu’on ira y voir de plus près.
Edouard Limonov, “Journal d’un raté”, traduit du russe par Antoine Pingaud, Albin Michel, 280 p., Sortie le 1ier septembre 2011.
“Je voudrais écrire un livre. Un livre très méchant et très inconfortable dans lequel l’essence flotte sur l’océan, le vent fait tinter la tôle, les rats trottinent d’une pièce à l’autre, et même sur les plafonds, et s’il n’y a pas de cafards, c’est qu’ils ont été dévorés par les rats.” p. 178