Salman Rushdie : Langages de vérité

Langages de vérité est un recueil de textes écrits entre 2003 et 2020 par Salman Rushdie. L’écrivain américano-britannique, d’origine indienne est devenu le symbole de la liberté d’expression depuis la fatwa prononcée contre lui en 1989 par l’Ayatollah Khomeini, après la publication du roman « Les Versets sataniques » Il a été poignardé et grièvement blessé le 12 Août dernier lors d’une conférence dans l’état de New-York. Dans ce recueil, il parle de son enfance indienne, de son amour de la littérature, de son travail d’écrivain, de sa vision du monde d’aujourd’hui.

Une vie consacrée à la littérature

Pour Salman Rushdie, la recherche de la vérité passe aussi par la littérature et par la fiction. Grâce aux contes fantastiques, comme Shéhérazade, grâce aux fables, l’irréel nous renseigne sur le monde réel. Le roman est une fresque qui permet de tout re-penser, de tout imaginer, de tout ré- écrire. Alors Salman Rushdie nous propose un grand voyage dans la littérature mondiale. Il parle de son admiration pour Philippe Roth, « un écrivain révolutionnaire qui est devenu un prophète en politique », pour Gabriel Garcia Marques et « son réalisme magique ». Ses textes sont aussi philosophiques : il discute des préceptes d’Héraclite, il aborde le thème de la mort à travers l’œuvre de Samuel Beckett et celui de la violence humaine avec le roman Abattoir 5 de Kurt Vonnegut, qui se déroule en 1944 dans la ville de Dresde bombardée. Mais Salman Rushdie raconte aussi ses difficultés à devenir écrivain, majorées par l’exil, par l’éloignement de Bombay où il a vécu son enfance. Il aborde brièvement, sans haine, ses souffrances après la fatwa de Khomeiny lorsqu’on a déformé son roman et diabolisé sa personne. Il garde une reconnaissance pour ceux qui l’ont accueilli et protégé en Grande Bretagne et aux Etats Unis. Salman Rushdie nous parle de ses combats, contre les fausses vérités, contre l’obscurantisme, pour la liberté d’expression et du courage nécessaire aux intellectuels et aux artistes engagés dans ces luttes. Un engagement qu’il a payé dans sa chair lors de son agression l’été dernier dont il garde de lourdes séquelles.

Un romancier universaliste

Ce livre est un recueil d’essais écrits entre 2003 et 2020. Il n’est pas austère, la langue de l’auteur est vivante, percutante, le lecteur adhère d’emblée aux textes, l’humour y est très présent. Son érudition est impressionnante comme sa connaissance de la littérature anglo saxonne et mondiale. Certains articles abordent des sujets d’actualité, d’autres brossent le portrait de peintres et de photographes contemporains. Il développe longuement sa conception du roman. Il croit en la fiction, un bon roman doit reposer sur une histoire et faire large place à l’imagination, à la fantaisie ou même à la magie. L’auto fiction a ces limites: la vie peut offrir les matériaux bruts mais il faut créer « l’étincelle, le voyage dans les mots véritables » qui font l’oeuvre romanesque.
Du livre émerge sa conception du monde : il s’insurge bien sur contre la haine et le fanatisme religieux. Il revendique un athéisme libérateur. La démocratie est le meilleur garant d’une société morale.Son origine indienne lui a donné une vision fluide parfois chaotique de l’existence. L’individu peut être ballotté par les événements et l’histoire est pleine de bifurcations, d’imprévus. Chacun de nous possède des identités multiples, les paradoxes, les contradictions de la nature humaine font la richesse de la littérature.
Malgré un pessimisme bien compréhensible, Salman Rushdie reste un écrivain engagé. Face à ce monde tenté par l’intolérance et la régression, il demande à ses étudiants de discuter les idées reçues et de penser par eux-mêmes. Tel est son message aux jeunes générations. Pour garder l’espoir.

Salman Rushdie, Langages de vérité, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Actes Sud, 400 pages, 25 Euros, sortie le 2 novembre 2022.

Visuel : couverture du livre