
“La Maison Allemande”, de Annette Hess, un passé qui ne passe pas …
Connue pour ses séries Weissensee (2010), Berlin 56 (2016) et Berlin 59 (2018) diffusées sur Arte, Annette Hess a publié en 2018 un premier roman dérangeant où une jeune-femme des années 1960 découvre peu à peu l’histoire de son pays et de sa famille, vingt ans plus tôt. Un livre à la fois historique, à suspense et extrêmement vivant et dur qui réveille avec génie les fantômes du passé.
1063. Eva est une jeune-femme pleine de vie et de projets : entre son travail de traductrice du polonais en allemand, des coups de main au restaurant convivial de ses parents où les oies sont fameuses, au cœur de Francfort et ses projets d’épouser le riche et torturé Jürgend, on peut dire qu’elle prend sa vie en main. Sans oublier de partager des moments forts avec son petite frère et sa grande sœur plus difficile à caser mais courageuse infirmière… Elle sort du déjeuner de présentations officielles de son fiancé à ses parents, quand David Miller entre dans sa vie comme une bombe de désapprobation. Cet avocat canadien et le procureur en charge d’un procès contre les SS de la ville lors du “Second Procès d’Auschwitz” ont besoin sur le champ d’une traductrice du Polonais. Elle débarque sans rien savoir de ce qu’il s’est passé pendant la guerre. Inéluctablement, elle est attiré par ce travail terrifiant et bouleversant qui touche au plus proche du passé de sa famille. Elle s’accroche, malgré les difficultés et même s’il faut mettre, son amour, sa sécurité et son couple en péril.
Avec un personnage de femme forte, moderne plutôt saine, mais complètement ignare du passé et qui se transforme d’oie blanche du refoulement en lionne qui ouvre les yeux en grand, La Maison Allemande parvient à mener de front trois réalité : le côté “heimlich” (cocon) de cette famille de restaurateurs avec des parents petits-bourgeois très tendres, l’indicible du passé et le suspense de savoir comment l’héroïne va faire face et aussi si la justice va trancher et permettre – enfin, 20 ans après- une prise de sanction collective… Sauf le petit frère (qui a eu la “grâce de naître après”), tous les personnages sont complexes et très fouillés et l’on retrouve parfaitement l’ambiance à la fois “swinging” et grevée de mauvaise fois d’un Francfort en plein boum économique. Un roman à la fois touffu et fin, très vivant et porteur de l’insupportable silence. La percée et le retour du passé est tout l’enjeu et son vecteur a beau s’intéresser aux jolies robes, elle n’en est pas moins un guide abouti des conséquences d’un passé enseveli. Un très beau livre, à lire et à offrir.
Annette Hess, La Maison Allemande, trad. Stéphanie Lux, Actes Sud, Octobre 2019, 400 p., 23 euros.
visuel : © couverture du livre