Fictions
“Journal de L.” : Christophe Tison donne voix à Lolita

“Journal de L.” : Christophe Tison donne voix à Lolita

06 January 2020 | PAR Yaël Hirsch

Aux toutes nouvelles éditions de la Goutte d’or, l’inoxydable héroïne de Vladimir Nabokov reprend vie sous la plume de Christophe Tison. Enfin, Lolita parle et elle vaut à son auteur le Prix du Style 2019. Avec raison !

De 1947 à 1952, Journal de L. propose de reprendre le récit de Nabokov (1955) là où il s’était arrêté avec la vie de couple de Humbert Humbert et Lolita. C’est à travers le journal de la jeune-fille fantasmatique que nous en savons plus sur sa vie glauque de fuite avec son beau-père, sur le pouvoir qu’elle exerce sur lui, sur ce qu’elle est obligée de subir et aussi sur ses tentatives de fuir pour vivre sa vie à elle. Mais sait-on librement choisir sa vie quand on a été abusée aussi profondément à l’adolescence  ? 

L’idée de poursuivre l’oeuvre mythique et sulfureuse de Nabokov est extrêmement audacieuse. Non seulement pour des raisons purement littéraires mais aussi parce qu’en temps de #metoo, le public est autant et peut-être encore plus choqué que dans les années 1950 par l’attrait et l’abus sexuel d’une enfant. Ayant lui-même raconté comment un ami pédophile de ses parents l’a détruit dans Il m’aimait (Grasset, 2004), Christophe Tison donne enfin la parole  à celle que l’on n’entend jamais : Lolita. Il parvient à la fois à lui faire dire l’horreur et l’abject sans détours, mais il dresse aussi le portrait d’une jeune-femme de son temps, capable de se défendre avec les armes qu’elle a, notamment un sens prononcé de l’observation et de la formule. Ses aphorismes, entre remarque sociales, questions existentielles d’une adolescente et poésie, sont précieux : “Je suppose que même quand ils parlent de l’amour, les hommes parlent technique” (p. 36)  ou “Dans le ciel les étoiles tournent, petits diamants dans un monde de rouille, et comme moi elles ont froid” (p. 243). La lucidité de cette Lolita n’empêche pas la femme fatale d’aller vers son destin mais pas sans rébellion. Et c’est beau de la voir se battre pour tomber amoureuse, pour vivre plutôt que survivre et pour mener sa vie. Enfin, cette clairvoyance  de Lolita permet également sonder par Lolita ce monde américain des années 1950 au diapason de l’opulence, de la virilité et de l’oppression. Un livre riche, qui réussit pleinement son pari…

Christophe Tison, Journal de L., éditions de la Goutte d’or, 280 p., 19,50 euros. Sortie le 22/08/2019. 

visuel : couverture du livre 

 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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