
« La Générosité de la sirène » de Denis Johnson : « Le monde continue de tourner »
Entre poésie et humour, les cinq nouvelles qui composent ce recueil se concentrent sur des individus en quête de sens à leur vie, sans pour autant susciter l’intérêt du lecteur.
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Denis Johnson, peu connu en France, a pourtant été adoubé par ses pairs de l’autre côté de l’Atlantique : « Une prose au pouvoir et à l’élégance incroyables » déclare Philip Roth ; « Le Dieu auquel je veux croire a la voix et le sens de l’humour de Denis Johnson » avoue Jonathan Franzen. Le Los Angeles Times en vient même à le proclamer Denis Johnson comme auteur le plus important de sa génération. A la lecture de ce recueil de nouvelles posthume, que reste-t-il d’un écrivain si acclamé ?
Comme de nombreux recueils, les nouvelles présentées sont inégales. Dans la première, un publiciste recense tous les moments où sa vie a basculé dans le mystère, à la frontière d’une vie banale et d’une autre vie possible issue d’un univers parallèle. Dans « Le Starlight sur Idaho », un camé en cure de désintoxication écrit au Diable. La moins intéressante, « Bob l’Étrangleur », traite de prisonniers qui se révoltent. Les deux dernières sont typiques d’un topos fort présent dans la littérature américaine : un professeur de littérature, ou un écrivain, fait la connaissance d’un illuminé qui va bouleverser sa vie : la nouvelle est alors un portrait teinté d’admiration, une façon de sauvegarder la personnalité d’une personne hors du commun. Comme l’écrit le narrateur de « Triomphe sur la mort », « Le monde continue de tourner. Il va de soi pour vous qu’au moment où j’écris ces mots, je ne suis pas mort. Mais je le serai peut-être quand vous les lirez ».
Toutes reliées par la mort, les nouvelles sont aussi une réflexion sur la quête de sens à donner à nos vies. Le poète Markus Ahearn, de la dernière nouvelle, bien que considéré comme l’un des plus grands de sa génération, ne parvient à trouver une raison de vivre qu’en enquêtant absurdement sur la mort d’Elvis Presley. Malgré un certain ennui qui se dégage à la lecture des nouvelles, certaines pages se distinguent tout de même, telle cette description du 11 septembre :
« Je me suis retourné pour regarder les gens derrière moi. J’ai vu des rires bouleversés, des pleurs, de l’horreur, de la stupéfaction. A côté de moi un jeune homme s’est mis à hurler à gorge déployée. J’ai eu peur de lui demander s’il avait un être cher dans les tours – peur tout simplement de lui parler, mais il a alors levé vers moi son visage christique, torturé, et il a soudain ri aux éclats en disant : « Mon pote, tu vas avoir un sacré cocard. » Nous étions loin des tours, presque à deux kilomètres, dirais-je, assez loin pour ne pas sentir le sol trembler, et nous n’entendions rien d’autre que les sirènes, les cris de voix officielles, « Quittez la rue ! Eloignez-vous de la rue ! », et d’autres aussi – « Ils attaquent le Capitole ! – le Pentagone – la Maison-Blanche ! » »
La Générosité de la sirène, Denis Johnson, Christian Bourgois Editeur, 224 pages, 20 €
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