Fictions
[Critique] « La Vie rêvée des gens heureux » de Katrina Onstad, aux Editions Belfond

[Critique] « La Vie rêvée des gens heureux » de Katrina Onstad, aux Editions Belfond

23 July 2014 | PAR Audrey Chaix

Cela fait des années que James et Ana, à l’aube de la quarantaine, essaient en vain d’avoir un enfant. Ils sont prêts à adopter, lorsqu’un petit garçon d’à peine trois ans est catapulté dans leur foyer par un drame familial : suite à un accident de voiture, son père est décédé tandis que sa mère est plongée dans un profond coma. Désignés par leurs amis comme tuteurs légaux, James et Ana accueillent le jeune Finn de manière bien différente : si James se sent tout de suite père de l’enfant, avec lequel il passait déjà beaucoup de temps depuis son chômage récent, Ana, avocate talentueuse, se sent complètement étrangère au petit garçon. 

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S’il est un tabou qui a la vie dure dans nos sociétés occidentales modernes, c’est bien celui de l’absence d’envie de maternité. Passés trente ans, une femme installée et en couple peut difficilement échapper à la question qui revient comme une ritournelle inquisitrice dans la bouche de connaissances plus ou moins proches : et alors, ce bébé, c’est pour quand ? Dans une société qui idolâtre la maternité et porte l’enfant aux nues, et où les couples infertiles se battent avec rage et détermination pour enfin procréer, difficile pour une femme d’admettre que devenir mère n’est pas l’un des objectifs de son existence.

Cette question, et toutes celles qui l’accompagnent, Katrina Onstad les posent dans un roman parfaitement construit, au travers d’un couple qui a échoué à concevoir son propre enfant et qui se retrouve “parents” – ou tout du moins tuteurs – d’un petit garçon de deux ans. Sans que cela semble étrange, Onstad inverse les rôles avec subtilité : au chômage depuis peu, James accueille à bras ouverts le petit Finn, qu’il voit déjà comme son propre fils, tandis qu’Ana, obsédée par l’ordre et la propreté, aussi efficace chez elle que dans son boulot d’avocate, le vit comme une intrusion qu’elle ne parvient pas à accepter. Et cela sans vraiment comprendre ce qui lui arrive : elle est femme, ne devrait-elle pas se sentir mère protectrice envers le petit oisillon tombé du nid ?

Et parce que Katrina Onstad est une romancière avant d’être une sociologue de la maternité, elle mêle savamment les fils de son intrigue pour en faire une belle histoire de gens ordinaires confrontés à la cruauté de cette chienne de vie – mais aussi à sa beauté. Au-delà de l’accueil douloureux de l’enfant au sein d’un foyer qui n’était paradoxalement pas prêt à le recevoir, Onstad dissèque les rapports entre les deux acteurs d’un couple en perdition, qui subit de plein fouet le choc de la parentalité. Peu à peu, des éléments sur l’enfance de James et d’Ana sont révélés au lecteur, par petites touches, plus pour étoffer leur personnalité que pour expliquer leur réaction face à l’enfant. Car malgré une enfance chaotique, Ana a été aimée, et malgré une enfance apparemment parfaite, James a souffert d’une relation dysfonctionnelle avec sa propre mère. Et l’arrivée de Finn fera ressurgir tout cela, tout comme elle imposera à James et Ana de redéfinir leur rapport au monde, à la société – et l’un à l’autre.

La Vie rêvée des gens heureux est ainsi un roman touchant, plein de tendresse mais aussi habité par le doute et la renonciation, où il est dit que la féminité et la maternité sont deux notions différentes, souvent complémentaires, mais parfois impossibles à concilier – et que cela est propre à chaque femme.

La Vie rêvée des gens heureux, de Katrina Onstad. Editions Belfond. Traduit de l’anglais (Canada) par Françoise Rose. Parution : mai 2014. 348 p. 21,50€.

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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