Essais
« Les Enfants du purgatoire » de Claude Ardid : Polisse

« Les Enfants du purgatoire » de Claude Ardid : Polisse

03 April 2023 | PAR Julien Coquet

Notamment journaliste grand reporter pour Charlie Hebdo, Claude Ardid a passé deux mois en immersion totale dans la Brigade des mineurs de Marseille. Un condensé d’horreurs certes, mais un livre qui rend justice à ces policiers.

Comme l’écrivait Dostoïevski à Lioubimoff en 1879 à propos des Frères Karamazov : « Mon héros traite un sujet, selon moi irréfutable : l’insanité de la souffrance des enfants, et il en déduit l’insanité de toute réalité historique. » Car à partir du moment où les êtres les plus innocents et les plus purs souffrent, comment justifier une quelconque « harmonie supérieure » ? Délaissant la question philosophique de l’existence de Dieu (en même temps, ce n’est pas le sujet !), Claude Ardid rend compte du quotidien de l’Unité de protection de la famille de Marseille, appelée avant 2009 Brigade des mineurs. Cette unité se charge des violences faites aux enfants, de la prostitution enfantine, de la pédopornographie, mais aussi de violences conjugales, de violence sur des personnes âgées ou malades…

Pour rappel, « en 2021, par exemple, près de 50 000 enfants ont été victimes de maltraitance en France. Dans 49,9 % des cas, ce sont les mères qui sont responsables ; les pères dans 36,4 % ; les beaux-parents, 9,1 % ; la fratrie 2 % ; les autres catégories de « maltraitants » se comptent parmi les grands-parents, les proches ou les professionnels de santé ». Des chiffres qui font froid dans le dos… La Brigade des mineurs de Marseille, composée de trente-trois policiers, les a en tête, ces chiffres. Les dossiers s’accumulent, les interrogatoires se succèdent, les cas monstrueux s’enchaînent. Mais ces flics qui ne comptent pas leurs heures travaillent le plus rapidement pour parvenir à la vérité.

Un bébé retrouvé mort dans la poubelle d’un Ouigo, un enfant qui dort dans une benne à ordures, un grand-père incestueux, des jeunes filles qui se prostituent… Claude Ardid n’épargne pas son lecteur, sans verser pour autant dans le voyeurisme. En décrivant factuellement ces faits divers, le journaliste met en parallèle le travail des flics (« L’horreur, elle est pour notre pomme, on met les mains dans le cambouis tous les jours. ») et des magistrats (« J’aime passionnément mon travail, mais je suis arrivé au bout. Bientôt, je n’aurai plus de solutions pour les enfants. »).

Claude Ardid plonge également dans le côté opérationnel de cette Brigade, pointant le manque flagrant de moyens dans l’avant-dernier chapitre intitulé « Tout ce qui ne marche pas à la Brigade des mineurs et qui ne marchera probablement jamais ». Et le journaliste déconstruisant aussi certaines idées reçues, comme cette policière qui affirme « Je sais que ce n’est absolument pas politiquement correct de dire ça, mais toutes ces femmes qui déboulent dans notre bureau en criant : « On m’a violée, on m’a violée », c’est rarement, très rarement le cas… ». L’exemple de cette affirmation arrivant quelques pages plus loin, avec un homme accusé à tort par une jeune fille de l’avoir violée.

Les Enfants du purgatoire, à l’instar du film Polisse, présente une famille de policiers soudée par le travail et la soif de justice, face à un nombre de cas toujours plus importants et des moyens qui stagnent.

« Quoi de plus beau, mais aussi quoi de plus rebutant que de bosser sur des affaires qui expriment tout le mal-être de la société dans le meilleur des cas et toutes ses abjections dans le pire ? C’est ce qui explique sans doute l’étrange paradoxe de la Brigade des mineurs. Personne ou presque ne veut y venir. Personne n’y postule. Personne n’a envie de passer quasiment cinq jours sur sept, parfois douze heures par jour, à s’échiner sur des violeurs en série, des maris crapuleux, des pères ou des grands-pères incestueux. Tout ce qu’une société peut produire de noirceur, d’obscénité ou de répugnance. Ceux qui y sont venus l’ont fait par vocation. Ils n’en partiront sans doute jamais. Par devoir. Pour les enfants, les adolescents, les femmes battues ou violées, ou les deux. Pour toutes les victimes. »

Les Enfants du purgatoire, Claude ARDID, Editions de l’Observatoire, 288 pages, 20 €
Visuel : Couverture du livre

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