
“Chroniques cinématographiques” de Bernard de Fallois : Le Masque et la plume
Plus connu comme éditeur passionné par l’œuvre de Proust, Bernard de Fallois, sous le pseudonyme de René Cortade, fut aussi un critique de cinéma influent au début des années 60.
Dans leur numéro d’avril 2020, les Cahiers du cinéma reprennent la définition de la critique données par Jean Douchet. La critique, selon Jean Douchet, c’est « l’art d’aimer » à travers le texte que l’on écrit : on prouve l’amour que l’on a pour le film ou le désamour que l’on lui porte, c’est-à-dire l’amour qu’on aurait aimé lui porter. Les environ 150 films critiqués et analysés par Bernard de Fallois dans ce recueil des Chroniques cinématographiques répondent bien à une vision du cinéma. En lisant ces textes, le lecteur se rend bien compte de la passion de Bernard de Fallois pour le septième art, entre désamour et haine pour certains films et amour et admiration profonde pour d’autres.
La tâche de Bernard de Fallois ne fut pas aisée. Pendant trois ans, de 1959 à 1962, René Cortade, le masque, alias Bernard de Fallois, la plume, exerce son activité de critique successivement dans Arts puis dans Le Nouveau Candide. A Arts, Bernard de Fallois succède au redoutable critique François Truffaut. Le lecteur constatera d’ailleurs que Bernard de Fallois se dresse vivement contre la politique des auteurs chère à Truffaut. Plus généralement, c’est contre la nouvelle vague que Bernard de Fallois a une dent. Pourtant, comme le remarque Philippe d’Hugues en préface, « cette hostilité à la Nouvelle vague n’est pas systématique et au snobisme qui l’accompagne, notre critique ne posera pas celui de l’anti-snobisme ». Par exemple, de Jules et Jim, Bernard de Fallois écrit : « c’est le premier film attachant de la Nouvelle Vague ».
Ce qui est passionnant dans ces textes, c’est tout d’abord la langue de Bernard de Fallois. On sent que l’amour qu’il porte au cinéma est parfaitement transmis par les mots qu’il emploie. Alors que certaines critiques aujourd’hui sont parfois difficilement compréhensibles, le style de Bernard de Fallois est à admirer pour sa vivacité et son élégance. En plus du style, l’analyse est pertinente à tous égards : les films sont présentés et jugés en fonction de leurs scénarios, de leurs acteurs, des dialogues, de la musique, etc.
À travers ces textes c’est aussi toute une conception du cinéma qui ressort. D’un côté, les têtes de turc, de l’autre, les grands cinéastes. Dans la première catégorie figurent Resnais, Truffaut, Jean Renoir… Mais les films portés au Panthéon sont signés Charlie Chaplin, Federico Fellini et Alfred Hitchcock. Les bonnes critiques ne sont pas non plus avares de bons mots : « les pontifes de la nouvelle vague poussaient depuis deux ans de grands soupirs devant le sort de leur ami Rivette, dont le premier film, Paris nous appartient, ne trouvait pas de distributeur. Il en a trouvé un. Tant mieux. Nous l’avons vu. Tant pis ».
A propos de La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock :
« Le dernier Hitchcock, c’est un peu comme le dernier Simenon : c’est toujours le même et pourtant c’est autre chose, c’est ce qu’on attendait, et c’est encore mieux que ce qu’on attendait ; ce n’est qu’un divertissement, mais c’est un divertissement supérieur. Le plus intelligent et le moins intellectuel des metteurs en scène d’aujourd’hui est le seul aussi à détenir ce privilège de réconcilier le public et le critique, l’art et le plaisir. North by North West vient d’en donner une nouvelle preuve. Plus en verve que jamais, Hitchcock traverse allègrement un continent dans les deux sens, en train, en avion, en voiture, joue cartes sur table, annonce franchement les couleurs, et nous donne pour finir cette chose si rare, un chef-d’œuvre sans prétention. »
Chroniques cinématographiques, Bernard de Fallois, Editions de Fallois, 464 pages, 22 €
visuel : couverture du livre