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Au-delà du lac, chroniques de vies cabossées par l’écrivain suisse Peter Stamm

Au-delà du lac, chroniques de vies cabossées par l’écrivain suisse Peter Stamm

16 January 2012 | PAR La Rédaction

En dix nouvelles, sobres et fortes, l’auteur suisse Peter Stamm traque les lignes de faille qui se nichent dans nos existences souvent trop lisses.

Dans le Cavalier sur le lac de Constance, célèbre ballade allemande de Gustav Schwab, un homme, parti sur son cheval à la recherche du lac, tombe raide mort quand il apprend qu’il vient juste d’en traverser la surface gelée et d’échapper à ses nombreux dangers. Ce poème que l’on peut interpréter comme le récit des occasions perdues, de la vie non vécue, vient immanquablement à l’esprit à la lecture d’« Au-delà du lac », dixième ouvrage de l’écrivain suisse Peter Stamm.

Dans ce recueil de dix nouvelles, qui ont toutes pour cadre le Seerücken, cette vallée bordant le lac dont il est originaire, l’auteur renoue avec l’exercice dont il est familier: le récit des petits et grands ratés qui symbolisent nos existences tout entières. A la lumière crue d’une autopsie impitoyable, Stamm passe à la loupe quelques tranches de vie qui, malgré toutes les promesses dont elles sont porteuses, amènent à un constat d’échec plus ou moins cuisant. On y suit par exemple le chemin d’Anja, une adolescente qui après avoir fui la violence de sa famille, et survécu seule dans la forêt, se range à une existence morne de mère de famille. Ou encore cette professeur de piano, qui ne parvient pas à garder le seul de ses élèves qui soit doué d’un certain talent, et qui échoue elle-même à se faire recruter comme concertiste.

Peter Stamm, qui a étudié la psychologie et la psychopathologie, sait mieux que quiconque traquer les zones d’incertitude qui habitent ses personnages. Dans un style très factuel, il observe et creuse leurs lignes de faille, jusqu’à ce qu’ils basculent vers un point de non-retour, à l’instar de ce pasteur nommé dans une nouvelle paroisse: boudé par tous les fidèles, le voici qui finit, au bord de la folie, par jeter le « pain de la vie » aux mouettes. Dans l’Ordre des Choses, un couple sans enfant, tombé dans la routine, avec curiosité puis une certaine envie, la famille d’estivants qui loue la maison jouxtant la leur. Mais au moment où ils pourraient faire connaissance avec leurs voisins, un drame inattendu viendra empêcher toute tentative de rapprochement. Un passage à lui seul, pourrait résumer le propos de l’auteur. « Alice s’était représenté la villa plus grande, avec des meubles plus jolis, avec un jardin plus soigné. Elle s’est imaginé sa vie autrement, a pensé Niklaus. C’est ça le problème. » Sans jamais tomber dans le désespoir ni le sordide, Peter Stamm insiste sur le côté humain et en fin de compte très universel de chacune des situations décrites. Nous sommes tous un peu ce gardien d’immeuble, qui prépare depuis de longs mois son départ au Canada, mais ne s’y résoudra pas à cause d’une histoire personnelle qu’il tient secrète. Ou ce jeune exploitant agricole, isolé dans son village, qui risque bien de passer à côté de la seule histoire d’amour qui lui soit donné de vivre.

En dépit de cette tendance au renoncement, au non-abouti, l’issue des nouvelles reste toujours incertaine, rendant les pirouettes finales d’autant plus appréciables. Marqués par le goût pour l’inattendu, certains récits frisent même avec le fantastique. Dans les Estivants, la nouvelle qui ouvre le recueil, l’universitaire qui vient trouver refuge dans un hôtel fermé a-t-il réellement vu la jeune femme qui fut son hôtesse pendant plusieurs jours? Et d’une façon générale, sommes-nous vraiment les acteurs de nos vies, ou juste des pantins, mus par des forces du réel qui nous échappent? Loin de se limiter à de courts épisodes narratifs, les nouvelles de Peter Stamm ouvrent des questionnements à l’infini, salutaires et dérangeants.

Extrait

« Lara avait vingt ans. Simon trois ans de plus. Il n’avait pas partagé d’appartement avec sa première petite amie. Ca n’avait rien de sérieux, répondait-il, quand Lara se mettait à le questionner. Il avait vécu jusque-là chez ses parents et devait d’abord s’habituer au fait que le linge ne se lave pas tout seul et que le frigidaire ne se remplit pas en appuyant sur un bouton. Mais cela semblait lui plaire à lui aussi quand ils faisaient des courses ensemble le week-end et qu’ils se demandaient ce qu’ils allaient cuisiner aujourd’hui, demain et après-demain. Il nous reste encore du lait? Le café est bientôt fini. On n’a plus de sacs poubelle. Ces phrases avaient un charme particulier, et le Caddie plein à ras bord était comme l’annonce d’une vie comblée. »

Ariane Singer

 

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La Rédaction

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