
À travers calligraphie des rêves, Juan Marsé nous conte la naissance d’un écrivain
Régulièrement, Juan Marsé nous revient avec des romans attachants dont le cadre ne s’éloigne jamais beaucoup d’un certain quartier de Barcelone durant les années franquistes. Cette fois pourtant, la vie du jeune Ringo présente d’incontournables similitudes avec la biographie romanesque de l’auteur.
« Je parle d’un quartier qui n’existe que dans ma tête », a pu dire Juan Marsé. Salué comme un des meilleurs auteurs de langue espagnole par d’illustres collègues comme Mario Vargas Llosa et António Lobo Antunes, Marsé ne sait en effet que trop bien combien la littérature déforme « la vérité » pour en extraire le merveilleux. C’est sans doute pour cela qu’il a préféré la fiction au récit autobiographique pour nous conter ses souvenirs de jeunesse dans le quartier de Guinardo, peuplé dans les années quarante et cinquante d’artisans et de petits commerçants.
Au delà d’un savoir-faire éprouvé pour ce qui est de l’art de camper des personnages plus vrais que nature, engagés dans un quotidien haut en couleurs, que redouble l’imaginaire de Ringo, Marsé restitue avec une justesse parfois douloureuse ce qu’il faut de renoncement et de douleurs rentrées pour donner naissance à une vocation d’écrivain. Ainsi la truculente Mme Mir, tournée en ridicule par la population du quartier, prend-elle toute sa dimension humaine à travers le regard de Ringo, qui sait voir chez elle la tendresse, l’amour et le désespoir, derrière des apparences parfois repoussantes ou grotesques.
Tout l’art de Marsé est là, et ce serait le desservir que d’entrer plus en détail dans les péripéties incroyablement romanesques qui entraînent le récit, tant celui-ci est maîtrisé jusque dans son rythme et son découpage. La chape de plomb du franquisme, déjà abordée plus frontalement dans de précédents romans, est ici d’autant plus inquiétante qu’elle est évoquée par petites touches ou par personnages interposés.
Plongez tête la première dans cette Barcelone de légende : vous ne le regretterez pas.
« Il croit que ce n’est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l’écriture et de ses résonances qu’il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l’environnement hostile et se réinventer soi-même »
Calligraphie des rêves, Juan Marsé, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, Christian Bourgois, 416 p., 20 euros. Paru en janvier 2012.
Visuels : couverture
portrait de Juan Marsé © Palomares