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Rencontre avec Oliver Hermanus

Rencontre avec Oliver Hermanus

08 October 2011 | PAR Emma Letellier

Toutelaculture.com a rencontré le réalisateur de “Beauty”, qui sort le 12 octobre prochain en salles. Dans cet entretien, Oliver Hermanus nous parle de son travail et de la genèse du film, qui a obtenu la Queer Palm au dernier festival de Cannes.

Pour lire notre critique du film, c’est ici.

Que pensez-vous de votre film ?

Je ne l’ai pas vu depuis un petit bout de temps, parce qu’on en est arrivé à un stade où on ne peut, tout simplement, plus le voir…

En tant que réalisateur je verrai toujours les problèmes et c’est ce qui me mène au film suivant, parce que je veux que mes films s’améliorent. Quand vous rêvez tant d’être un réalisateur, que vous faites tout pour, c’est tellement dur de ne pas perdre sa passion. Du coup quand vous terminez un film, c’est un sentiment étrange qui vous habite. Vous vous demandez tout le temps ce que vous auriez pu faire de mieux, vous êtes toujours en train de vous battre pour rencontrer des gens, pour trouver des financements, etc. La plupart du temps je me demande ce que j’ai mal fait.

Pourriez-vous nous en parler ?

Je reviens toujours aux circonstances de tournage de telle ou telle séquence.  Je me demande pourquoi je n’ai pas pris un autre angle pour telle scène, je me souviens que j’étais de mauvaise humeur, ou fatigué ce jour-là… Du coup je sais que lors du prochain tournage, quand je commencerai à crier, à m’énerver, je me rappellerai Beauty et les erreurs commises dans ces moments de déconcentration. On n’apprend le métier de réalisateur qu’en tournant. Donc je veux continuer à tourner et faire des erreurs, pour progresser.

C’est comme une autopsie : vous ouvrez un corps mort et vous vous demandez ce qui l’a tué.

Nous avons parlé de la genèse du film à venir, mais revenons à Beauty, comment le projet est-il né ?

J’étais sur le point de m’envoler pour Paris, pour la résidence cannoise. En faisant ma valise j’ai  retrouvé La mort à Venise que je n’avais pas lu depuis longtemps. En le relisant, j’ai pris des notes  sur ce personnage qui, au lieu de s’en délecter, est empoisonné par la beauté. Et de là est né le personnage de François. D’où vient cet homme ? Comment a-t-il été empoisonné ? Comment est-ce que je pourrais montrer la tension entre la vie qu’il mène et celle qu’il voudrait vivre ? Entre ses secrets et l’effet que produit l’objet de ses désirs dans sa vie ? Je voulais montrer aussi précisément que possible ce qui arrive quand on devient possédé par une passion dont on perd le contrôle.

Donc le point de départ du projet était la thématique de la beauté ?

Exactement.

Comment en êtes-vous venu à l’homosexualité pour illustrer cette thématique?

Comme un moyen pour accentuer le parcours du personnage. Je ne peux pas dire que l’homosexualité soit le sujet principal du film, ni qu’il s’agisse d’un film « pro-gay ».

C’est une fable qui contribue à raconter ce qui se passe quand on rencontre quelque chose de très beau. Si on imagine qu’il y a deux sortes de personnes dans le monde : ceux qui apprécient la beauté et ceux qui sont persuadés de la posséder, François serait quelqu’un qui sait apprécier la beauté et qui ne pense pas la posséder. Christian, au  contraire, possèderait la beauté et l’utiliserait comme une monnaie d’échange, pas forcément pour manipuler les gens, mais pour faire affaire avec eux. C’est un poison pour François comme cela pourrait l’être pour qui n’a pas confiance en lui. Il devient alors très facile de briser toutes les lois, de tout détruire dans sa vie dès lors que cette belle personne vous refuse son attention. Plus on se sent loin de la beauté et incompatible avec elle, plus on devient dangereux, une bombe à retardement, si la beauté croise votre chemin. Parce que vous allez presque immédiatement vous autodétruire. Son homosexualité, sa race, la construction de ses tensions sont des moyens de capter le pouvoir de la beauté. Car même quelqu’un comme lui, qui contrôle tout, peut être totalement désarmé devant cette image fulgurante qui traverse la pièce.

Que pensez-vous de la Queer Palm qui vous a été attribuée, dès lors que l’homosexualité est un thème secondaire dans votre film?

Parfois vous faites un film et vous êtes récompensé pour avoir promu les Droits de l’Homme sans l’avoir voulu. Je suis très fier, je suis heureux qu’on puisse voir mon travail sous cet angle. C’est une bonne chose. Bien sûr, le public change, se dit que si le film a gagné la Queer Palm, c’est qu’il doit être pour « Queer people » et c’est quelque chose que vous ne contrôlez pas en tant que réalisateur. J’ai déjà été récompensé pour avoir avoir promu les Droits de l’Homme et je n’ai jamais réalisé de film dans une telle intention, alors…

Pourriez-vous nous parler de l’ancrage sud-africain du film, car, si une fois encore la beauté a été pour vous le point de départ de Beauty, il n’en demeure pas moins une fresque de l’Afrique du Sud, vingt ans après la fin de l’Apartheid ?

Oui, le film est vraiment censé donner un aperçu de la réalité de certaines personnes en Afrique du Sud, de nos jours, et plus particulièrement un aperçu des différentes générations. François a vécu la moitié de sa vie pendant l’Apartheid et la partie la plus importante de sa vie – l’enfance, l’adolescence où l’on crée ce que l’on devient. Et c’est ce qui m’intéressait dans le personnage de François : il est un fossile de l’Apartheid.  Il lutte pour s’adapter, en vain.  Il commet l’erreur de croire que tout le monde connaît le même problème que lui, que la jeune génération elle aussi commet cette erreur.  Or les générations plus jeunes ne portent pas le même héritage. Comme dans l’Allemagne d’après guerre, les jeunes, et plus particulièrement les jeunes blancs d’Afrique du Sud cherchent  à redéfinir leur identité. Dans Beauty, Christian en est l’image : il parle anglais, il est très intégré, il a des amis métis. Je pense aussi à ce couple de jeunes garçons, à la fin du film, qui vit dans un monde différent de celui de l’Apartheid, dont je fais moi aussi partie. Ce qui m’intéressait aussi c’était de montrer ce que François a perdu, à cause de son âge et de l’époque où il est né.

Je vous ai entendu dire que vous connaissiez beaucoup de « François » ?

Suite à la diffusion de ce film, on devrait être amené à rencontrer beaucoup plus de François. J’ai été amené à rencontrer un certain nombre d’hommes qui étaient des François, qui étaient mariés, qui ont divorcé et qui ont refait leur vie. Je n’ai jamais rencontré d’hommes qui tenaient encore secrète leur double vie… et pour cause !  Ce que je trouve le plus intéressant chez ces hommes c’est qu’ils manifestent une virulente homophobie. François se cache, dans le plus grand secret, pour ne pas être suspecté d’être gay.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi de montrer une si longue séquence dans le club où ces homophobes homosexuels se retrouvent ? C’est une scène vraiment surprenante qui rompt le fil jusqu’alors tranquille de l’histoire de François.

Oui. On vous montre un pan de la vie de François et ensuite il faut vous montrer l’envers, sans ménagement. Car c’est ce qu’il fait, il passe d’un extrême à l’autre.  Tous ces hommes sont d’un certain âge, d’une certaine région. François n’est pas seul, ni dans ce pays, ni dans les autres, à mener une double vie. Je suis sûr qu’ils sont nombreux ici aussi en France.

La séquence est vraiment longue, pourquoi ?

Oui. En tant que réalisateur, quand vous vous avancez sur ce terrain, quand vous voulez créer ce type de réalité, il vous faut aller jusqu’au bout pour donner de l’intensité à la scène. Ce qui m’intéressait, c’était le silence de ces hommes, l’absence d’intimité, l’aspect mécanique de ces relations et combien c’est triste.  Ces hommes ne s’amusent pas. Il fallait montrer à quel point cela était désagréable.

Pourquoi avez-vous choisi cette ville Bloemfontein ?

Quand j’étais en France, j’ai regardé une carte de l’Afrique du Sud, j’ai réfléchi à ce que je connaissais, et à ce que je ne connaissais pas. Je suis du Cap et je connais le Cap. Pour moi Bloemfontein est une ville qui a peu d’attrait. Je savais seulement qu’elle avait été la capitale du pays. Elle incarne un cliché de l’histoire Afrikaane. Tout le monde là-bas est  raciste, blanc. C’est une ville très provinciale, conservatrice. En situant mon histoire là-bas, je savais que je serais obligé d’y aller, de rencontrer la ville, d’en apprendre plus. Et ce qui est amusant dans ce choix un peu aléatoire, c’est que certains clichés sont avérés et d’autres non. Ce type d’endroit, par exemple, où se retrouvent ces hommes, existe vraiment là-bas. Dans une grande ville, ils ne sont pas nécessaires. Il y a des boîtes de nuit pour ça.  L’attitude de sa femme par exemple, ce refus du divorce, d’abandonner son mari, n’aurait pas lieu d’être dans une grande ville.

On a utilisé le vert de cette ville, Bloemfontein signifie « source de fleur » en Afrikaans. Je voulais que ce soit une découverte. En tant que réalisateur, on a envie d’aventure, on a envie d’apprendre. Au début on riait de tout, des hôtels miteux, des papiers peints, des gens étranges et peu avenants. Mais maintenant je connais la ville, certains de ses habitants, ses boîtes.  C’est un privilège quand vous écrivez un scénario de pouvoir choisir une destination au hasard et partir à l’aventure.

Comment le public sud-africain a-t-il réagi à la sortie du film ?

Les gens ont soutenu le projet. Le film est en salle depuis deux mois maintenant. Il a donné lieu à de nombreux débats. Et je ne pouvais pas espérer mieux.

Je crois aussi que le public de Bloemfontein était excité à l’idée de pouvoir reconnaître à l’écran les coins de rue de toujours. En général, les films montrent l’étranger.

Vous sentez-vous appartenir à un certain courant cinématographique en Afrique du Sud ?

Je pense que je suis encore le seul à faire le genre de film que je fais, je suis encore très chanceux de faire ce que je veux. D’autres réalisateurs sud-africains n’osent pas, ils ont peur. Mes pairs, chez moi, sont encore en train d’imiter ce qui se fait à Hollywood, des films d’actions, des films de vampires…  Je me sens encore un peu seul ! Mais peut-être que demain, quelqu’un me surprendra-t-il !

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