L’Etrange affaire Angélica, ce film de Manoel de Oliveira vous hantera longtemps
Après Singularités d’une jeune fille blonde, Manoel de Oliveira réalise, encore une fois, un chef d’œuvre, limpide, simple, juste sublime. Sortie le 16 mars 2011.
Manoel de Oliveira a écrit en 1952 une première mouture de ce scénario, qu’il avait laissé de côté. Mais, au Portugal, le temps passe d’étrange façon et, à tout juste 103 ans, le voici qui réalise enfin cette Etrange Affaire Angélica. Isaac, photographe, est appelé en pleine nuit par une riche famille pour faire le portrait de leur fille, Angélica. Arrivé sur place, le jeune homme comprend qu’il s’agit de prendre la dernière photographie d’une jeune femme venant de mourir. Et lorsque Isaac entre dans la pièce mortuaire et voit Angélica, il tombe irrémédiablement amoureux. La scène est sublime : en professionnel, Isaac demande que l’on change l’ampoule de la lampe, ajuste son objectif, regarde le visage serein de la morte et, soudain, pour lui seul, les yeux d’Angélica s’ouvrent tout grand et son sourire s’épanouit ! Profondément troublé, Isaac s’enfuit bien vite, regagnant la petite pension de famille où il est logé. Le développement des photos ne suffira pas à dissiper le mystère : Angélica l’a-t-elle regardé ? L’image de la jeune femme, d’une très grande beauté, le hante sans trêve.
Manoel de Oliveira rend incroyablement sensible cette histoire d’envoûtement par-delà la mort, d’attirance étrange et funèbre pour un rêve. Le contraste entre les visions fulgurantes d’Isaac et le quotidien, prosaïque, de la petite pension de famille tenue par l’accorte Madame Justina donne au film une tension palpable. Chaque jour, les mêmes petits gestes se reproduisent, autour de la table du petit déjeuner, les pensionnaires et Madame Justina s’inquiétant toujours plus du comportement, peu sociable, d’Isaac (ces scènes sont tout à fait cocasses !). De plus en plus sombre, fiévreux, le jeune homme poursuit sa chimère. Attiré, comme l’enfant du Roi des Aulnes, par la mort, Isaac est également attentif aux vivants : ainsi, les bêcheurs du Douro, travaillant à l’ancienne, en cadence, le fascinent. Ses photographies captent des images sur le point de disparaître : le dernier sourire, énigmatique, d’Angélica, les expressions de vieux paysans voués à céder bientôt la place aux machines… Peu à peu, Isaac, dont on ne sait rien (Juif, il a sans doute connu des persécutions : le scénario de 1952 développait ce point ; mais l’action se passe désormais aujourd’hui, dans un présent suspendu, où la mémoire flotte comme une ombre), s’enfonce dans ce monde fugitivement entrevu. On pense à L’aventure de Madame Muir de Mankiewicz, ou plus récemment à La Frontière de l’aube de Philippe Garrel. Mais L’Etrange affaire Angélica possède une singularité, un éclat, qui le placent bien au-dessus de ces films, pourtant beaux.
Le regard éperdu d’Isaac (Ricardo Trêpa), le simple plan d’un chat fixant un oiseau, le chant monocorde et envoûtant des travailleurs de la terre, une course folle au milieu des Oliviers, autant de moments qui marquent durablement le spectateur. Epuré, lumineux, étiré en instants d’éternité, le film d’Oliveira nous plonge dans un rêve éveillé d’une force éblouissante.
Dans Singularités d’une jeune fille blonde, l’amour se heurtait brutalement à un matérialisme, un prosaïsme, que le jeune homme n’avait pas soupçonné. Ici, l’amour ne se heurte plus à rien, mais s’envole au mépris de toutes les contingences ! L’Etrange affaire Angélica risque de vous hanter longtemps (au moins jusqu’à vos 103 ans!).
L’Etrange affaire Angélica (O Estranho Caso de Angélica), de Manoel de Oliveira, Portugal/France/Espagne/Brésil, 95 mn, avec Ricardo Trêpa, Pilar Lopez de Ayala, Leonor Silveira, Luis Miguel Cintra, le 13 avril 2011.
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3 thoughts on “L’Etrange affaire Angélica, ce film de Manoel de Oliveira vous hantera longtemps”
Commentaire(s)
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Géraldine Pioud
Très bel article pour un film merveilleux! Certainement l’oeuvre filmique la plus troublante de ces premiers mois de 2011…