Interview de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, les trois artistes du film la Fée
A l’occasion de la sortie du dernier film La fée de Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy après L’Iceberg et Rumba, toutelaculture.com a rencontré ces trois artistes. Généreux et sans tabous, ils nous ont convaincu d’ aller voir ou revoir ce film, petit bijou de la rentrée cinématographique de septembre. (voir notre critique ici, pour gagner des places de cinéma ici)
Comment travaillez-vous tous les trois ?
Nous travaillons à distance par email, Fiona et moi, nous sommes à Bruxelles et Bruno habite Caen. En fait, nous partons souvent d’une idée très simple qui donne suite à des échanges d’emails. L’idée n’est pas trop détaillée. Puis nous nous retrouvons. A Bruxelles, nous avons une salle de répétition où nous pouvons jouer « physiquement » l’idée émise. Nous sommes en véritable condition de théâtre. Nous jouons tous les rôles. Pour moi ce moment de répétition est primordiale pour la création du film à venir. C’est vraiment là, où les idées prennent chaires ou pas… Nous jugeons nous-mêmes nos propres gags, la valeur de telle ou telle idée…
Après ces moments de répétitions, nous retournons chacun à l’écriture de nouvelles idées. En fait nous fonctionnons un peu comme dans un jeu de ping-pong. Ces phases peuvent prendre plus d’un an, répétition et écriture comprises. Quand nous avons enfin une idée qui nous plaît réellement, nous commençons le repérage des lieux. C’est aussi une étape extrêmement importante de notre travail. Notre jeu est beaucoup influencé en fonction du lieu. De plus, nous aimons beaucoup travailler avec des locaux, des comédiens, clowns amateurs. Prendre contact longtemps avant le début du tournage nous permet de se lier d’amitiés et d’obtenir un casting de choix qui correspond à notre univers. Puis écrire à trois n’est pas chose facile. Pouvoir mettre nos idées rapidement en scène nous permet de dépasser le côté conflictuel de l’écriture derrière lequel se loge notre imagination personnelle. Néanmoins nous ne cherchons pas le consensus. Si une idée prévale, c’est bien parce qu’elle est meilleure et non pas parce qu’elle nous a plu à tous les trois !
Comment l’idée de la fée vous est-elle venue ?
En fait, l’idée de la fée est partie d’un regroupement de plusieurs idées. Nous avions quelques germes de long-métrages mais cela ne nous plaisait pas vraiment. Par exemple, nous avions l’idée, d’un film qui se serait appelé Love Hôtel. Cela relatait l’histoire d’une adolescente qui avait un bébé et qui prenait la fuite en l’abandonnant. Moi et Fiona nous ne mettions alors en quête de la retrouver. A travers cette idée, nous avons élaboré un certain nombre de gags qui sont présents dans la Fée. Mais l’aspect moral nous gênait.
Une autre idée est aussi à l’origine du film. Fiona tombe en panne de la campagne, trouve un bidon d’huile et un génie en sort et lui propose trois vœux. Ou encore, nous avions pensé à un court-métrage avec que des personnages myopes qui se rencontrent…etc
A travers toutes ces expériences, le sujet d’un Fée nous est apparu comme une évidence. Avec ce personnage, il nous était possible de l’insérer dans un univers urbain et nocturne. Pour nous, le personnage de la Fée représente un humanisme actif. C’est celle qui donne juste par amour. Elle prend, elle donne… Puis nous pouvions aussi prendre le contrepied des contes. La tour d’ivoire est dans notre film un hôpital psychiatrique, le cheval blanc, un scooter …
Comment insérez-vous le lieu de tournage dans votre jeu ?
Pour le Havre, ce fut comme une évidence. Cette ville est un décor géant de cinéma. Son style moderniste, complètement bétonné… Ce style appartient à la fois à une ville des pays de l’Est mais aussi à une ville des Etats-Unis. Il y a toujours des grandes grues qui se dressent et qui surplombent la ville. Des montagnes de conteneurs d’un bleu vif brisent la monotone grisaille de la ville. Le Havre, c’est vraiment l’expression du monde urbain par l’image, sa forme et ses couleurs.
Comment travaillez-vous la couleur dans vos films ?
Dans Rumba, nous voulions des nuits très colorées, bleues. Ici, c’est le contraire, nous voulions des couleurs un peu pastel, dans un demi-ton. Nous avons fait un grand travail sur la rétrospection. Nous voulions des nuits un peu magiques. Nous avons joué sur le vert du Havre, le bleu de containers et le ciel de la mer. Nous avons beaucoup utilisé les nuits américaines …
Pensez-vous que la Fée est un film optimiste : quelle vision portez-vous sur la société et votre métier ?
Chez nous c’est toujours un peu aigre-doux. Nous nous intéressons aux choses de la vie qui « coincent». On aime ce qui est maladroit chez les gens c’est ce qui nous rapproche de l’humain et de ses faiblesses. Les policiers par exemple dans notre film ne représentent par l’ordre. Ils ont leurs faiblesses et leurs maladresses. Tout ce qui dérape chez un humain, le rend plus vrai, plus touchant, et le libère des fonctions qu’il occupe et des normes. C’est là où jaillit leur véritable personnalité. Nous traitons cela avec beaucoup d’autodérision. La Fée porte un regard lucide et parfois dur sur la société. Mais bon, pour nous l’optimisme renaît toujours de ses cendres. Comme le clown. Le clown tombe, mais rebondit, il continue de faire rire même si le spectacle ou le monde deviennent de plus en plus chaotiques.
Pour vous donc, la plus grand force de rire se révèle par l’expression corporelle ?
Oui, nous avons une véritable passion pour le langage corporel. Le corps c’est l’honnêteté totale. Les gens maîtrisent moins leur corps que leurs paroles. Le corps trahit un manque de cohérence. Il est sujet à différentes interprétations. Nous utilisons peu de mots dans nos films. A part, dans la Fée , au début, vu que Dominique est veilleur de nuit. Mais il est vrai que nous avons aussi une grande maîtrise de nos corps pour parfaire tel ou tel gag. Mais c’est aussi pour cela que nous aimons nous entourer d’amateurs. Il faut arriver à créer un contexte qui semble peu maîtriser pour que le rire s’installe et que le corps se laisse aller. Par exemple, l’enfant dans le film est aussi l’expression de la maladresse et de l’embarras du clown. Le Clown est un être fragile et là il doit s’occuper de ce petit être sans le laisser tomber.
Quelles sont vos influences ?
Nous en avons beaucoup. Buster Keaton, Chaplin, mais aussi Kaurismäki, le film Whisky de Pablo Stoll….
Pourquoi avoir choisi Youkali de Kurt Weill dans votre film ?
On a trouvé qu’elle correspondait bien au film. Elle parle d’un rêve inacessible. Elle jongle avec l’optimisme et le plus profond désespoir. Elle est l’image même de cette image du Clown qui se tombe, se relève encore et toujours même s’il sait pertinemment que son espoir est illusoire. Il y a une vraie montée dramatique dans cette chanson. Puis nous avons rencontré cette chanteuse locale, Anaïs Lemarchand qui arrivait à nous donner une interprétation de ce texte que nous aimions beaucoup. Et la scène avec elle et le groupe de femmes rugbymans, qui sont d’ailleurs une vraie équipe du Havre, elles se nomment les diesels, portait cette intensité tragique mais aussi toujours ce décalage que nous voulions préserver grâce à cette chanson. Puis Youkali est une chanson qui nous aimons énormément.