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Festival du film de La Rochelle 2022 : Rencontre avec Emmanuel Mouret autour de “Chronique d’une liaison passagère”

Festival du film de La Rochelle 2022 : Rencontre avec Emmanuel Mouret autour de “Chronique d’une liaison passagère”

04 July 2022 | PAR Cedric Chaory

Élégant et sophistiqué, le nouveau film d’Emmanuel Mouret est une pépite qui nous raconte l’aventure de quelques mois entre une mère célibataire et un homme marié. Compte rendu d’une rencontre avec un réalisateur qui n’a de cesse, au fil d’une filmographie délicate, d’ausculter la carte du tendre.

Cette Chronique d’une relation passagère était en gestation bien avant votre précédent film Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Pourquoi a-t-elle été tourné après ?

Effectivement nous pensions réaliser ce film avant Les Choses mais la grande difficulté de cette production était son casting. Nous devions être sûrs des deux comédiens qui allaient la porter car ils sont de tous les plans. Quand vous avez entre 5 et 10 comédiens sur un film, vous passez de l’un à l’autre mais là nous savions que c’était uniquement un couple à l’écran et ce fameux couple fut long à caster. J’ai rencontré Vincent Macaigne sur une lecture de ce projet il y a 4 ans, mais je le trouvais un peu trop jeune à l’époque bien que j’avais adoré ce moment de lecture. Comme il a vieilli entretemps, nous l’avons gardé. Restait à trouver sa partenaire. Sandrine Kiberlain s’est vite imposée notamment grâce aux contrastes de jeu de ce duo d’artistes qui néanmoins sont tous deux doués dans la fantaisie et le drame.

Vous êtes vous-même comédien, cinéaste-acteur. Vous ne souhaitez plus jouer dans vos propres films aujourd’hui ?

C’est un peu un hasard de parcours. J’avais joué dans mon tout premier film sur les conseils de mon producteur Frédéric Niedermayer. Ce film fut accueilli de façon moyenne et je me suis juré de ne plus jouer dans mes propres oeuvres. Puis au moment de tourner mon troisième film – Changement d’adresse avec Frédérique Bel – mon producteur m’a dit qu’il fallait absolument que je sois dedans. A chaque fois cela a été mon producteur qui a décidé. D’une manière générale j’aime davantage réaliser un film sans faire partie de sa distribution. Je m’y concentre bien plus sur les comédiens. Typiquement sur ce projet j’aurai été incapable de faire le travail de Vincent Macaigne : tout ce texte, ces déplacements à retenir …

Quel est le parti pris d’écriture pour ce film qui raconte une liaison, mais toujours son in jamais son off ?

J’ai adapté ce scénario sur la base d’écrit de Pierre Giraud, rencontré lors d’un atelier d’écriture. J’ai tout de suite aimé les personnages et lui ai demandé si je pouvais adapter son texte. Ce qui m’a intéressé c’est de filmer une liaison qu’à partir de ses rendez-vous, de la suivre comme une histoire d’amour sans jugement moral ou dans la comparaison les uns avec les autres. On en voit seulement l’intérieur. La difficulté du projet était de ne voir à l’écran que le couple. Il fallait donc trouver un dispositif qui ne lasse pas, qui ait de l’ampleur pour ne pas être dans du huis clos, de l’intimisme trop renfermé. D’où l’abondance des décors, des déplacements qui donne un coté aventureux à l’affaire.

On note d’ailleurs la forte présence des musées dans Chronique, des lieux généralement peu présents dans les films ?

Sur les décors, il y a le fait que je n’avais pas envie de huis clos. Tout circule dans ce film, mes personnages ne sont jamais assis. Il me fallait donc des espaces urbains où l’on peut discuter en circulant comme dans les parcs, les musées. Pour les galeries marchandes et les rues, c’est plus compliqué à organiser. Ce que j’aime dans les musées, c’est qu’il y a de l’intimité, de la beauté. Et puis j’ai tellement adoré Manhattan de Woody Allen avec sa célèbre scène au MOMA.

Comme toujours vos dialogues sont aussi fins que drôles. Cette écriture si ciselée laisse-t-elle de la latitude aux acteurs ?

Pour moi, dans un film, le suspens réside dans ce qu’on dit. Dire quelque chose c’est faire quelque chose. On sait qu’il y a des mots qui font plus de mal qu’une gifle ou plus de bien qu’une caresse donc je prends les mots comme de l’action. Alors mes acteurs ont-ils droit à quelques libertés avec le texte ? Non car c’est comme si je disais à des cascadeurs « Bon écoute, tu exécutes ta cascade un peu comme tu veux, à droite, à gauche, tu gères … ». Mes acteurs n’ont pas de latitudes pour improviser dans le texte. Sur ce film les comédiens ont énormément de textes, énormément de déplacements. Ils n’ont pas le temps d’improviser. Par contre dans l’interprétation, il y a toujours quelque chose de nouveau en fonction des prises.

La finesse de vos dialogues est reconnue mais elle occulte souvent votre talent de réalisateur… Qu’en dites vous ?

Oui c’est vrai qu’on se souvient souvent des plans où ça ne parle pas à l’image, mais moi, le reproche que je ferai aux écoles de cinéma est que jamais on nous parle de filmer la parole. La mise en scène ne semble dévolue qu’aux plans où la parole est inexistante. C’est étonnant car les vraies difficultés de la mise en scène c’est précisément de faire vivre des pages dialoguées, des moments d’échanges entre des personnages. Dans le film il y a cette phrase qui dit « j’ai autant plaisir à parler qu’à faire l’amour avec vous » et bien voilà dans ce film je voulais vraiment filmer ce plaisir de la discussion. Les questions de mise en scène se posent donc davantage sur ces scènes dialoguées que sur ces effets qui marchent parce qu’ils ont été préparés par les dialogues. Vous savez Hitchock, on ne se souvient que de ses moments de mise en scène où ça ne parle pas mais Hitchock c’est souvent 10 minutes de parole pour une minute de silence. Et puis, j’aime les films qui parlent beaucoup parce que quand ça s’arrête de parler, ça fait événement !

Et la musique, élément consubstantiel dans Chronique, comment l’avez-vous choisie ?

C’est toujours délicat car j’ai du mal à la penser en amont. Elle s’impose de manière très intuitive au tournage. C’est une voix off sentimentale, qui accélère l’action, qui imprime dans l’air. Pour La Javanaise chantée par Juliette Gréco, il s’agit d’une idée de mon monteur. Il m’a présenté un premier montage avec ce titre et j’ai trouvé que c’était une superbe idée. Il avait retenu que dans une interview j’avais cité cette chanson comme une de mes préférées. Les sonates de Mozart par Giesenking m’ont, elles, été adressées par une amie. Ca marchait avec le film tout comme Poulenc, un de mes compositeurs préférés.

Il y a quelque chose d’un peu anthologique dans ce film, notamment avec Ingmar Bergman, non ?

Forcément si on s’intéresse aux films qui ont mis en scène exclusivement deux personnages, Scènes de la vie conjugale est vite incontournable. Mon film, lui, aurait pu s’appeler Scènes de la vie extra-conjugale. Chez Bergman, les personnages sortent tout ce qu’ils ont sur le cœur, s’envoient tout à la gueule. Dans mon film, ils sont dans la retenue. Comme ils le disent eux-mêmes : « Nous avons été trop élégants l’un envers l’autre ». Bergman est donc à la fois un lien et un envers pour ce film.

Votre film commence sur le ton de l’humour mais, sans en dévoiler la fin, se termine comme un drame. S’installe alors une frustration chez le spectateur à l’issue du film. Était-ce voulu ?

Oh je suis désolé de vous avoir attristé mais je ne suis pas totalement d’accord. Voyez comme mes personnages quittent le dernier plan, tout sourire, main dans la main en courant dans un parc. Et puis je dirais que je n’ai pas menti sur la marchandise : mon titre est explicite. Nous parlons là de chronique d’une liaison passagère. Tout est dit.

Propos recueillis lors de la rencontre publique animée par Thierry Méranger, retranscrits par Cédric Chaory.
Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret – sortie en salle le 14 septembre 2022

Visuel : image extraite du film

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