
Cannes 2019, Un certain regard : une ouverture brillante avec “La Femme de mon frère”
Actrice révélée chez Xavier Dolan, Monia Chokri réalise un premier film techniquement parfait, doté d’une grande profondeur universelle.
Lors de l’Ouverture de la section cannoise Un certain regard, mercredi 15 mai, l’actrice Monia Chokri, dont la première réalisation faisait office de film inaugural, s’est adressée au public, en disant qu’elle avait quelque peu le trac de revenir sur cette scène, qu’elle avait foulée en 2010 en tant qu’actrice pour Les Amours imaginaires, le film de Xavier Dolan qui la révéla. Juste avant ses mots à elle, la réalisatrice Nadine Labaki, présidente du jury Un certain regard en 2019, s’était exprimée, affirmant qu’elle n’appréciait pas trop l’idée de “compétition” au sein de la section.
On peut trouver qu’il n’est pas évident, au final, de juger sévèrement La Femme de mon frère, première réalisation de Monia Chokri. Car le film n’est pas que sincère et expressif : il est brillant et profond. Le personnage qu’on y suit, la jeune Québécoise Sophia (magnifique Anne-Elisabeth Bossé, déchaînée et fragile), se révèle extrêmement bien écrit : arrivée au bout de son doctorat, et donc devenue docteure, elle n’arrive pas à trouver un travail, et elle affiche par-dessus tout une attitude rigolarde et un peu désabusée, quoique sincère.
Seul l’amour qu’elle porte à son frère, avec lequel elle habite en colocation, la réconforte. Un jour, tout change : à la faveur d’un rendez-vous chez une gynécologue (pour un avortement, le deuxième de son existence), Sophia voit Karim son frère, reconnaître en Éloïse la doctoresse (excellente Evelyne Brochu) une ancienne amante. Dont il retombe amoureux…
Finesse et virtuosité
Dès lors, La Femme de mon frère creuse le thème de la jalousie que l’on peut éprouver devant les autres heureux, et de la complaisance dans le malheur qui en résulte. Une thématique ô combien universelle, traitée ici d’une façon fine : chaque personnage a ses raisons, sa personnalité (pas cliché), et tous sont peints d’une façon qui apparaît extrêmement vraie, extrêmement spontanée. Même Éloïse, assez “parfaite” en apparence, conserve une très grande part d’humanité. Niels Schneider, dans un court rôle de colocataire délirant et dragueur, évite lui aussi toute caricature dans son personnage.
Pour traiter cette histoire, le film adopte une forme de comédie. Mais là réside l’autre grande subtilité du film : une très grande part de ses effets comiques proviennent de son montage, furieux, parsemé d’embardées brusques et de répliques stylisées et vite enchaînées. Un tel choix pourrait se révéler périlleux : ici, tout apparaît au contraire lisible, et très bien filmé. Et le caractère emporté du style – avec disputes familiales, piques adressées en cascades, ou séquences de déprime burlesques – paraît découler de tout ce travail technique, et être parfaitement au diapason de lui. La Femme de mon frère apparaît ainsi comme un premier film extrêmement maîtrisé, très vivant et ouvert.
La Femme de mon frère est présenté à Cannes 2019, dans la section Un certain regard.
Retrouvez tous les films des différentes sélections dans notre dossier Cannes 2019
Visuels : © Memento Films Distribution ; affiche française de La Femme de mon frère ; ©Geoffrey Nabavian