Antichrist : l’extrême onction de Lars von Trier
Décrié par la critique, réactions violentes de journalistes quittant la projection à Cannes, accusations de misogynie, de provocation gratuite, de violence absurde, le dernier film de Lars von Trier n’a pas fini de faire parler de lui. Nous avons voulu revenir sur le phénomène. Et tant pis pour ceux qui n’auront pas voulu le voir en salle.
Le film méritait toutes ces condamnations ! Et même pire : l’approbation d’une jeunesse fan de thriller de qualité.
A partir d’un thème douloureux mais finalement assez vu – le deuil d’un enfant et la culpabilité – Lars von Trier fait basculer son film dans le thriller, voire l’horreur. Sexe, sang, souffrance, tout aurait contribué au succès commercial. Et c’est justement pour cette raison que le film a été autant vilipendé. Mais c’est aussi en cela que réside sa force.
Il faut le dire, Antichrist est beau. Par ses couleurs, sa photo, c’est une véritable œuvre d’art qui est offerte au public. A tel point que parfois se dressent d’authentiques tableaux devant nos yeux. Une première scène en noir et blanc, sur fond d’opéra (Rinaldo de Haendel) : on ne peut s’empêcher d’être subjugué par la puissance dégagée par une scène d’amour filmée en parallèle avec une mort tragique. Eros et Thanatos, d’entrée de jeu, le ton est donné. Toute la relation entre Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe est fondée sur cette tension entre pulsion de mort et de désir.
Antichrist, Eden, le film entier est tissé sur l’alliance de ces deux références antinomiques. Ici, chaque élément de cet univers est relié : les apparitions fantastiques de bêtes sauvages, le bruit des glands qui tombent sur le toit, le tout rythmé par une musique oppressante qui ouvre et clôt le film.
Satan se fait jour à Eden (c’est dans cette forêt que le couple fait le deuil de leur enfant), la comparaison chrétienne pourrait s’arrêter là. Car s’il y a bien un combat entre le bien et le mal, les catégories en sont bouleversées. Les références aux gynocides et aux chasses aux sorcières du XVIème siècle annoncent la violence castratrice, le besoin de punir. Mais est-ce le péché de chair qui est expié ? Ou simplement la folie du deuil qui fait son chemin ? Jusqu’au bûcher final, les références christiques ne cessent de confondre le spectateur.
Confronté à l’innommable, sa réaction ne peut être qu’excessive. A l’instar de certains, il quitte la salle horrifié, ou alors reste dans son fauteuil jusqu’au bout, partagé entre sa stupeur face à l’indicible et son envoûtement devant la beauté paradoxale qui se dégage de ce film. La deuxième option est résolument recommandée.