
Agnès Varda : glaner, grappiller, les images d’archives en liberté
En glanant ses souvenirs de cinéma, Agnès Varda manie les images, les souvenirs, comme un matériau plastique, souple, très tangible. Un plan de cinéma, une pomme de terre, un bout de plage, autant de petites choses mortes que l’on peut faire revivre.
Depuis un moment, le cinéma d’Agnès Varda se construit sur une mémoire vivante, alerte. Un peu comme Georges Perec, elle dit « Je me souviens » et déroule les rubans de la mémoire. En piochant dans les souvenirs des films de Jacques Demy (Jacquot de Nantes en 1991 ou le documentaire L’Univers de Jacques Demy en 1995), en feuilletant l’Histoire du cinéma (Les cent et une nuits de Simon Cinéma en 1995 pour le centenaire du cinéma), en ramassant des détritus, en recueillant des morceaux de vie (Les Glaneurs et la Glaneuse, 2000), en revisitant ses plages intimes (Les Plages d’Agnès, 2008).
Des bribes, des collages, un art du puzzle lui permet de parcourir, sur un mode ludique, enchanté, des pans de souvenirs. Intacts ou abîmés, les souvenirs reprennent vie, comme par magie. Évoqués avec humour et pudeur, ils retrouvent momentanément leur éclat, échappant au temps. Les procédés ne sont pas toujours les mêmes. Dans Les cent et une nuits de Simon Cinéma, la solennité est mise en scène avec beaucoup d’humour, de distance. Michel Piccoli incarne superbement Monsieur Cinéma, au fil d’une intrigue fantaisiste à souhait, où l’audace de la jeunesse (Mathieu Demy et Julie Gayet) vient dépoussiérer les vieux souvenirs. Il y a des clins d’œil, du collage, plein de vitalité, dans cette évocation libre et foutraque.
Dans Les Glaneurs et la Glaneuse, le travail de cinéaste se présente sur le même plan que celui des glaneurs : il s’agit de grappiller, de se pencher suffisamment pour ramasser ce que d’autres personnes ne daignent pas regarder. Farfouiller, considérer, retrouver de la vie et du sens à partir de presque rien, de petites choses mortes ou négligées.
Même fraîcheur dans Les Plages d’Agnès, où le puzzle se construit librement, à coups de réminiscences vives, d’images retrouvées, de photographies, de visites au musée ou de définitions de dictionnaires, de rapprochements brusques entre des mots, des idées (un peu comme chez Godard). Le télescopage, la respiration de la mémoire produisent ces beaux objets de cinéma, insolites et miroitants. Piocher, coller, trier, bricoler, un art du cinéma merveilleusement jeune.
Visuel ©Georges Biard