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Provoke : l’art japonais de s’engager par l’image

Provoke : l’art japonais de s’engager par l’image

23 September 2016 | PAR Marie Crouzet

Comment construire une exposition autour d’une revue de trois numéros publiée entre 1968 et 1969,  et jamais édité à plus de 1000 exemplaires ? C’est le défi que s’est lancé le BAL pour sa nouvelle exposition Provoke : entre contestation et performance,  et qui se tient jusqu’au 11 décembre 2016.

Pour comprendre Provoke, il faut imaginer le Japon des années 1960. Le pays qui a subi la seconde guerre mondiale de plein fouet, est en pleine reconstruction et le gouvernement, extrêmement puissant, prend des décisions radicales allant à l’encontre du bien être des populations. Un exemple pour se projeter. Afin de mener à bien la construction de l’aéroport de Narita, l’État décide d’expatrier tous les paysans de Sanrizuka. Il en résultera des affrontements terribles comptabilisant plusieurs morts et des milliers de blessés. Comment rendre compte de la violence qui frappe le pays à cette époque? Provoke en est un élément de réponse. Divisé en deux espaces, le BAL tente de retracer les lignes de ce mouvement aussi court qu’important pour la culture japonaise. Le premier étage est consacré à la contestation et le sous sol à la performance.  Si les deux niveaux présentent un intérêt, avouons toutefois une préférence pour celui du haut, car c’est là qu’a été installé pour toute la durée de l’exposition un Izakaya, équivalent de notre brasserie à la française au Japon, tenu par un chef de Kyoto pendant toute la durée de l’exposition. Mais posons un instant notre verre de saké pour revenir dans le vif du sujet : le dispositif scénique divisé en deux espaces distincts.

Contestation 

Au Japon, l’attitude de la résistance face à la violence en 1960 passe par le medium photographique. Les livres, souvent auto-édités et en quelques jours, ont une place centrale dans le mouvement et donc dans l’exposition. C’est le cas de celui de Kazuo Kitai, un photographe né en 1944, et dont on retrouve les travaux au fond de la salle. Les photographies que l’on peut découvrir au BAL sont extraites de l’un de ses ouvrages publié en 1965 sur les luttes étudiantes. Ses clichés sont des poèmes, juxtaposant des négatifs, construisant les images et son discours. Dans un style très évanescent, il raconte l’histoire des violences, choisissant des morceaux de photographies, éditant son livre comme un réalisateur monte un film. Dans un style beaucoup plus réaliste, on trouve à l’entrée de l’exposition des photos d’anonymes qui relate de manière frontale la violence des manifestations de l’époque. Parmi les images, des femmes alignées qui se serrent les coudes pour former une barrière humaine ou encore un jeune étudiant qui prend le micro pour crier sa colère…

Au milieu de la pièce, un film de 2h composé en réalité de sept films propose une immersion dans le quotidien des paysans expropriés de Sanrizuka. Plus loin, le livre Record of sadness and anger d’Hiroshi Hamaya est exposé. Bien avant Provoke, c’est le premier livre publié sur l’occupation d’une usine. Le livre est incroyablement novateur dans son graphisme. Dès les années 60, la tonalité, la mise en page et la composition sont aussi important que l’image au Japon. Autant que le photographe, l’éditeur est une figure centrale de la contestation. D’ailleurs, on retrouve sur le mur d’à côté la photographie qui a été choisie pour illustrer l’exposition, celle de Tomatsu Shomei, qui fut à la fois éditeur et photographe.  Le cliché de ce jeune homme que l’on voit frapper dans un sac de frappe jusqu’à en perdre l’équilibre appartient à une série magistrale publiée en 1964 qui capture le célèbre quartier de Shinjuku. Face à la police, Tomatsu Shomei photographie la contre-culture, celle des manifestations, des confrontations mais aussi de la nuit, des plaisirs et de la drogue.

Performance

Au sous-sol, les 3 numéros de Provoke trônent au milieu de la salle. Seule les parties visuelles sont présentées bien que l’initiative du mouvement soit aussi bien iconographique que littéraire. Au moment où le premier numéro est publié en 1968, le contexte politique est à la désillusion au Japon. La photographie traditionnelle n’a pas réussi à changer les choses. La volonté de dénoncer laisse place à une certaine sidération. Les photographes ont alors l’idée de réduire l’ambition de la photographie, elle ne peut pas témoigner de tout. Ils se recentrent sur l’essentiel: l’image témoigne de la présence du corps. Il faut renoncer au pouvoir de transcription de l’image pour privilégier une capture subjective, aléatoire et fugitive de l’expérience du monde. Provoke est né. De sublimes photos de femmes nues par Daido Moriyama dans le numéro 2 de la revue s’étale sur l’un des murs et font face en gros plan à un visage de femme énigmatique qui se répète sur plusieurs pages, prise par?K?ji Taki. Deux magnifiques livres sont aussi mis à l’honneur, Bye Bye photography publiée en 1972 par Moriyama et For a language to come de Takuma Nakahira, l’un des fondateurs du mouvement Provoke qui fut certainement le plus politisé de tous. Au fond de la salle, des télés retransmettent les performances réalisées par Shuji Terayama entre le 19 avril à  15h et le 20 avril à 21h. Des situations souvent grotesques, comme la visite de la ville de Tokyo les yeux bandés, sont consignées sur des bandes. Toutefois, la mise en scène des télés les unes sur les autres rend un peu complexe la compréhension globale du projet de l’artiste.

Avant de sortir, un hommage est rendu à Noboyushi Araki, photographe japonais extrêmement célèbre aujourd’hui, qui n’a pas participé à la revue ProvokeS’il est présent dans l’espace du BAL, c’est parce que selon ses propres mots, il aurait aimé faire partie de ce mouvement, à l’époque où « nous pensions encore que la photographie était une arme ». Quelle belle manière de répondre à la violence.

Crédits images dans l’ordre:

– Provoke 3, couverture, 1969. © Takuma Nakahira / Daido Moriyama / Takahiko Okada / Yutaka Takanashi / K?ji Taki – Collection privée

– Anonyme, Contestation autour de la construction de l’aéroport de Narita, c. 1969 / Collection Art Institute of Chicago

– K?ji Taki, photographie extraite de Provoke 3, 1969. © Y?suke Taki / Collection privée

 – Portrait de Takuma Nakahira, Shinjuku, 1964 par Sh?mei T?matsu © Sh?mei T?matsu – INTERFACE / Collection Art Institute of Chicago

– Takuma Nakahira, photographie extraite du livre For a Language to Come (Kitarubeki kotoba no tame ni), 1970. © Takuma Nakahira / Collection privée

 

Infos pratiques

Le théâtre de l’Athénée ouvre ses portes après un an de travaux
“Les Vagues” de Virginia Woolf dans une magnifique et inspirée adaptation théâtrale.
Marie Crouzet

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