Arts
Festival de Kahn : Rio – Buenos Aires 1909 en 2D et en capsules sonores à Boulogne

Festival de Kahn : Rio – Buenos Aires 1909 en 2D et en capsules sonores à Boulogne

28 June 2023 | PAR Nicolas Villodre

Du 27 juin au 19 novembre 2023 se tient au musée départemental Albert Kahn de Boulogne-Billancourt la remarquable exposition Rio-Buenos Aires 1909, Modernités sud-américaines qui “retrace un voyage d’affaires du banquier et philanthrope Albert Kahn” en Argentine et au Brésil d’août à octobre 1909.

Voyage d’affaires

Peu de temps après son périple autour du monde, Albert Kahn (1860-1940) et ses collaborateurs se rendirent en bateau en Amérique du Sud non seulement pour y conclure des contrats mais pour en rapporter du matériel photographique et filmique “dans la période précédant le déploiement à grande échelle du projet des Archives de la planète”. L’accrochage proposé par les commissaires Delphine Allanic et Clément Poché est agréable à parcourir grâce à la scénographie de Mélinée Faubert, aux ornements graphiques de Bénédicte Roland sur fond de murs peints en bleu-vert et à l’accompagnement sonore proposé par Nuits noires et le collectif DJ bancal qui signe un remix de maxixe, la “danse nouvelle” que célébra Félix Mayol en 1906 dans une phonoscène d’Alice Guy.

Le voyage d’Albert Kahn débuta à bord du paquebot König Friedrich August. Des photos stéréoscopiques complétées par un court film 35 mm pris à bord documentent la traversée de l’Atlantique, de Porto à Rosario, en passant par Recife, Bahia, Petópolis, Rio, São Paulo, Santos, Montevideo et Buenos Aires, et la hiérarchie sociale répartissant en trois classes distinctes les voyageurs, les bougres et les bourges, les premiers allant chercher fortune au Nouveau monde, les seconds s’y rendant en villégiature et/ou pour contribuer par la technique au développement industriel. Le fonds d’archives rapporté de l’expédition se compose de 683 plaques photographiques en noir et blanc, d’un film nitrate dont quelques mètres seulement ont été préservés et d’une soixantaine de plaques autochromes de petit format – du 9 x 12 cm, surtout. D’un procédé couleur à base de grains de fécule de pomme de terre teintés diffusé à grande échelle par les frères Lumière à partir 1903. Nous avions vu jadis à l’Institut Lumière, à Lyon, les grilles utilisées pour récupérer la fécule, proches des presse-purée manuels, plantées dans le jardin telles des sculptures décoratives.

Photographie spirite

Louis Ducos du Hauron avait obtenu de merveilleuses photos couleur à partir de 1869 au moyen d’une synthèse dite soustractive. Les autochromes Lumière, relativement simples d’utilisation, permirent aux opérateurs d’Albert Kahn de constituer une collection unique en son genre, qu’il nous avait été loisible d’admirer en partie à la fondation, du temps de Jeanne Beausoleil. D’après les commissaires actuels, les autochromes pris en 1909 par l’équipe d’Albert Kahn représentent aussi les premières photos couleur du continent sud-américain. Avec les plaques noir et blanc, cet ensemble participe de la “photographie de villes” qui trouvera son équivalent cinématographique dans les recherches d’avant-garde des années 20 et 30, en Europe comme aux États-Unis. Rio-Buenos Aires 1909 montre à cet égard l’influence des architectes, urbanistes et paysagistes du vieux continent sur les centres urbains créés de toutes pièces. Le théâtre municipal de Rio est une fidèle réplique du palais Garnier; les avenues paulistes et cariocas sont plus larges que celle de nos Champs-Élysées, Buenos Aires engagea le Français Charles Thays pour dessiner son jardin botanique…

Parmi les clichés préservés, numérisés et agrandis, nous avons particulièrement été sensible à celui qui fut pris le 26 septembre 1909, lors de la visite du baron d’Anthouard à Recife, par un photographe inconnu œuvrant pour Albert Kahn – n’a pas pu être établie, en l’occurrence, la présence sur les lieux du photographe attitré du banquier, Auguste Léon. Au bas de l’image, en son centre, traînent les affaires du photographe : une caisse en bois contenant une chambre de secours ou une caméra de cinéma et du tissu noir pour changer ou charger les plaques. Côté droit, apparaît – et disparaît dans un même mouvement -, le temps de pose relativement lent, floutant la silhouette et le visage du personnage, un homme qui, d’après les experts, pourrait bien être Albert Kahn lui-même, faisant un caméo façon Hitchcock – une marque au crayon gras sur le négatif exigeant le recadrage de l’image en raison de l’aspect spectral de l’individu – effet non désiré -, du droit à l’image, donc aussi à l’anonymat qui lui est rattaché.

Visuel : Plaça de Arsenal, Recife (1909) © Musée déparetmental Albert-Kahn/Hauts-de-Seine.

 

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Nicolas Villodre

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