Voyage céleste avec Félicie d’Estienne d’Orves
Cet été à l’Abbaye de Maubuisson, Félicie d’Estienne d’Orves nous entraîne dans un voyage métaphysique et artistique avec les étoiles pour guides.
L’Abbaye de Maubuisson, même si peu de bâtiments ont survécu, est un lieu chargé d’une énergie mystique particulière. Les artistes invités à y intervenir doivent prendre en compte l’histoire de cette abbaye cistercienne de moniales, qui ne manque pas d’influer sur leur travail. Ici, l’invisible est perceptible, le silence devient palpable et la vie s’organisait autour des cycles du soleil, l’esprit relié à une puissance supérieure. Une façon de voir le monde qui résonne avec le travail de Félicie d’Estienne d’Orves, qui questionne les rapports entre l’Homme et l’au-delà.
Cet au-delà est à la fois celui des profondeurs de l’univers et celui de la vie après la mort. Car nul besoin d’être religieux pour s’interroger sur ce sujet. Ainsi, l’artiste nous propose de suivre le trajet du dieu égyptien Rê, qui chaque nuit traverse les eaux de la mort dans sa barque sacrée pour renaître chaque matin sous la forme de Khépri, le scarabée sacré qui pousse le soleil. Au long de notre parcours, les ombres s’allongent au crépuscule, le soleil disparaît, les étoiles vibrent et meurent dans une infinité de couleurs pour finir par renaître, au-dessus du cours d’eau qui traverse l’Abbaye.
Mais toute cette mystique n’est jamais séparée de l’aspect scientifique des choses. Félicie d’Estienne d’Orves s’intéresse à notre perception de l’univers, plus particulièrement au travers de la lumière, qui est à la fois sujet d’étude et outil de représentation. Les bas-reliefs de la série Soleils Martiens reproduisent fidèlement la topographie de Mars par exemple, ou les photogrammes de Soleils solarisés sont réalisés à partir de photographies d’étoiles lointaines prises par des télescopes. Croyances anciennes et technologies contemporaines sont ici reliées dans cette quête de compréhension des cycles de la vie et de l’univers, la surface de l’obsidienne polie d’Eternel retour (palingénésie) évoquant à la fois les miroirs d’eau pour communiquer avec les morts de la Grèce antique que les écrans de nos smartphones.
Si toutes les pièces, sculptures, installations lumineuses ou photogrammes, associent art et technologie dans un délicat équilibre de poésie scientifique, Nekromanteion, celle installée dans la salle des religieuses, est particulièrement saisissante. Les ouvertures de la salle voûtée sont occultées et trois grands miroirs lumineux laissent apercevoir des nébuleuses obscures, nuées où se forment les étoiles, qui apparaissent au rythme d’une composition sonore de Marc Billon. Au milieu, nous nous reflétons dans ces étoiles, comme au seuil d’un passage vers l’infini, pris dans un moment de méditation hypnotique.
Le rapport de l’Homme à sa mortalité a de tout temps entraîné une quête vers l’immortalité. Aujourd’hui, nous nous tournons vers les nouvelles technologies, entre préservation numérique et transhumanisme. Les recherches ont mis en lumière les cycles de la matière dans l’univers et laissent penser que chaque être, chaque chose, est composé de la même matière que les étoiles. Ainsi, notre matière se transforme pour renaître sous une autre forme, mais qu’en est-il de notre esprit, de notre conscience? Faut-il chercher à la préserver, la prolonger, ou accepter à l’image des conceptions asiatiques d’y renoncer à notre mort?
Khépri, sortir au jour – Félicie d’Estienne d’Orves
du 02 avril au 03 septembre 2023
Abbaye de Maubuisson – Saint-Ouen l’Aumône
Visuels : 1- Nekromanteion, Félicie d’Estienne d’Orves, ADAGP Paris 2023 ©CDVO Catherine Brossais / 2- Sortir au Jour, Félicie d’Estienne d’Orves & Jeremy Maxwell Wintrebert, ADAGP Paris 2023 © CDVO Catherine Brossais / 3- Khépri, sortir au jour de Félicie d’Estienne d’Orves, ADAGP Paris 2023 © CDVO Catherine Brossais