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Injustice environnementale, vers un nouveau profil du musée d’ethnographie

06 December 2021 | PAR Laetitia Larralde

Le Musée d’ethnographie de Genève nous invite, avec sa nouvelle exposition, à changer de point de vue sur la situation d’urgence environnementale actuelle et à écouter les peuples autochtones du monde entier.

Repenser le musée d’ethnographie

La nouvelle exposition temporaire du MEG s’inscrit dans une démarche globale du musée : la durabilité. Mis en place en 2019, ce grand principe dirige tous les métiers du musée, de l’administration à la conception des expositions, en passant par la scénographie. Et celle-ci s’inspire des principes du théâtre pour aller vers une économie de matériaux. Les vitrines délimitent le parcours, soutenues par un marquage au sol, et chaque élément est pensé dans une optique de réutilisation et de recyclage, que ce soit avant ou après l’exposition. Mais la durabilité se cherche aussi au niveau social, éthique.

L’idée de « décoloniser les musées » est une problématique très présente ces dernières années, et particulièrement aigüe pour les musées d’ethnographie. En effet, les conquêtes coloniales du XIXème siècle ont largement enrichi les collections des musées, ainsi que celles des collectionneurs particuliers, dans des circonstances au mieux discutables. Aujourd’hui, dans un contexte de demandes de restitution des œuvres à leurs pays d’origine, les musées doivent procéder à un travail titanesque de traçabilité des objets et œuvres. Mais ils doivent également changer leur discours, la présentation des œuvres, pour sortir d’un point de vue colonial condescendant et reconstruire par le dialogue avec les populations concernées.

Le MEG a donc choisit de collaborer pour Injustice environnementale avec des artistes, juristes et chercheurs autochtones dès le début du processus de création de l’exposition. Et quoi de plus logique que de collaborer avec les porteurs de la culture dont on traite ? Mettre en place une relation durable avec ceux dont on parle en leur donnant une voix et un droit de regard devrait permettre un échange fructueux pour chacune des parties. Ce sont ainsi huit artistes et dix représentants de peuples autochtones tels que les Ts’msyen (Alaska), Sami (Norvège), Marshallais (Iles Marshall), Mbororo (Tchad) ou encore Teko (Guyane) qui participent à l’exposition.

Les peuples autochtones

La problématique principale d’Injustice environnementale est comment les peuples autochtones s’organisent aujourd’hui pour préserver leurs territoires et transmettre leur culture, savoirs et savoir-faire aux jeunes générations. Mais qui sont-ils ? Descendants de peuples dont les territoires ont été colonisés, généralement exclus et discriminés, ils sont aujourd’hui près de 500 millions répartis dans le monde entier. Ils ont une langue, une culture, des pratiques propres et vivent dans une relation symbiotique avec leur environnement. Ce n’est que depuis 2007 que leurs droits sont reconnus par les Nations Unies, même si la spécificité de chaque peuple autochtone soulève encore de nombreuses questions et résistances.

Le lien étroit des peuples autochtones avec leur environnement relève d’une responsabilité réciproque. L’environnement (la faune, la flore et tout l’écosystème) répond aux besoins alimentaires, médicinaux et culturels d’un peuple, qui en échange protège et soigne cet environnement. Si l’un des éléments de la chaîne disparaît, toute la chaîne est mise en péril. Cette interdépendance explique le savoir ancestral et précis que les peuples autochtones ont de ce qui compose leur territoire. Ils prennent soin de zones de biodiversité clés sur la planète qui représentent près de 80% de la biodiversité totale. Mais malgré cela, ils doivent se battre pour conserver leurs droits sur les ressources de leurs territoires telles que l’eau, les minerais, les hydrocarbures ou les forêts. Dans un rapport de force totalement inégal, comment défendre et valoriser les pratiques autochtones ?

Car comme l’ont souligné les Accords de Paris de 2015, ce sont ces pratiques basées sur une connaissance profonde du territoire qui pourraient nous apporter les solutions aux urgences climatiques. Mais souvent, ce sont les peuples autochtones qui sont les premiers à subir les crises écologiques. L’exploitation de la mine d’argent d’Imider (Maroc) détourne l’eau de l’oasis, la culture de l’huile de palme en Indonésie ou du soja au Brésil entraîne une déforestation massive, les centrales hydroélectriques au Canada ont provoqué l’inondation de territoires Inuits ou les tests nucléaires aux Iles Marshall des années 1950-60 sont encore aujourd’hui à l’origine de cancers, de malformations et d’une quantité instable de déchets nucléaires menacés par la montée des eaux.

Mais les peuples autochtones ne sont pas des victimes passives. Chacun mène son combat avec les ressources à sa disposition, comme l’artiste Sami Máret Anne Sara et sa mobilisation contre une loi norvégienne sur l’abattage des rennes, ou le sculpteur Ts’msyen Gyibaawm Laxha –David Robert Boxley et ses actions pour la sauvegarde de la langue Sm’algyax. Et comme le souligne la magnifique vidéo des poétesses Kathy Jetñil-Kijiner des Iles Marshall et Aka Niviâna du Groenland, dont les terres sont menacées par la montée des eaux et la fonte des glaces, les catastrophes que subissent aujourd’hui les peuples autochtones sont celles que nous subirons dans un avenir proche. Car tout est lié sur notre planète, et il est plus que temps de mesurer les conséquences de nos actions et d’agir.

Injustice environnementale est une exposition qui reflète la complexité de la situation mondiale actuelle : une situation de crise globale qui atteint les populations de façon cruellement inégale, à laquelle la solution pourrait être de repenser notre place dans nos écosystèmes respectifs. De quoi réfléchir pour imaginer des futurs alternatifs.

Injustice environnementale – alternatives autochtones
Du 24 septembre 2021 au 21 août 2022
MEG – Musée d’ethnographie de Genève

Visuels : 1- affiche de l’exposition / 2- Masque de la métamorphose du saumon, Lu?ootgm Amiilgm Hoon, par Gyibaawm Laxha – David R. Boxley (1981-), Ts’msyen, États-Unis, Alaska, Metlakatla, 2020 – Bois d’aulne, bois de cèdre rouge, peinture acrylique, métal, fil de pèche, bois de cedre jaune – A l’occasion de l’exposition MEG inv. ETHAM 068758 © MEG, J.Watts / 3- Dessin njoarosteame faisant partie des séries Oaivemozit /Madness / Galskap – Imprimés de médias mixtes réalisés par Máret Ánne Sara (1983-), Sami, Sápmi, Norvege, 2012 – Avec l’aimable autorisation de l’artiste © Máret Ánne Sara / 4- Always remember – your fathers never sold this land – “Shrine of Hypocrisy”(Rappelez-vous toujours – vos pères n’ont jamais vendu cette terre)- Affiche de Akwesasne Notes, États-Unis, Nation mohawk, New York, 1975 – Photomontage, impression offset en trois couleurs – Acquis de Akwesasne Notes en 1982, MEG inv. ETHAM 058230 © MEG, J. Watts / 5- Maquette de pirogue à balancier walap, Marshallais, Îles Marshall, Début du 20ème siecle – Bois, feuille de pandanus, bourre de noix de coco, plume – Don d’Albert Lévy en 1924, MEG inv. ETHOC 010171 © MEG, J.Watts

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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