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“Doh ayay” : Poush accueille une exposition d’artistes birmans proposée par l’Atelier des artistes en exil

“Doh ayay” : Poush accueille une exposition d’artistes birmans proposée par l’Atelier des artistes en exil

04 February 2023 | PAR Julia Wahl

L’Atelier des artistes en exil a été fondé en 2017. Dirigé par Judith Depaule et Ariel Cypel, il offre un accompagnement aux artistes exilé.es en France, contraint.es de fuir leur pays d’origine. Après le Coup d’État de la junte birmane en 2010, l’Atelier a été contacté par l’Institut français pour aider des artistes birman.es. Seize des artistes accompagné.es voient aujourd’hui leurs œuvres exposées au Poush. Une exposition au titre évocateur, qui reprend le slogan de la révolution birmane : “Doh ayay”, “C’est à nous !” ou “c’est notre affaire !”.

Faire sentir les exactions de la junte

Les exactions de la junte birmane sont en effet au centre du travail de ces seize plasticien.nes et vidéastes. Des vidéos évoquent ainsi la torture et l’absence d’issue, comme Interplays, de PN, ou de Listen, de Min Min Hein, qui reproduit dans des films de deux minutes les différentes formes de mort subies par les prisonnier.es.

La bande dessinée est également utilisée pour évoquer l’enfer kafkaïen de la geôle. Métamorphose, de Wooh, rend compte des pensées d’un prisonnier qui rêve d’une échappatoire. Le noir et blanc, la répartition des cases et le dessin font penser au roman graphique américain, notamment à l’univers de Will Eisner, lui-même adaptateur de Kafka. Quant à Art diary, de Thoe Htein, il relate les manifestations et la répression policière. Si des planches s’attardent à montrer avec précision des visages ou des corps, d’autres présentent de simples crânes ornés de masques à gaz, en un travail de dépersonnalisation qui participe d’une universalisation du propos.

Universaliser l’expérience

Cette universalisation de la répression est également au cœur du travail de Sai, Trails of absence. Si son œuvre est construite autour de la figure de son père, prisonnier politique, la photographie qu’il expose présente ce même père buvant à un bol qui cache son visage. En gommant ce qui identifie le personnage, Sai permet à chacun et chacun d’y projeter ses proches. Dans le même esprit, les autres photographies de la série usent de fleurs en tissu pour cacher les visages des personnes photographiées. Au sol, des morceaux déchirés de ces mêmes photographies en disent long sur la dislocation des corps et des esprits des prisonnier.es.

Burn my eye, de Myo Thaw, reprend cette idée d’universalité en utilisant le flash pour réduire les personnes photographiées à des silhouettes blanches. Cela crée un contraste fort entre la blancheur de la silhouette et l’obscurité qui l’entoure, ce qui donne un sentiment de violence.

Des objets au service de la révolution

S’il s’agit, pour une part des œuvres, de rendre compte de la torture et de l’enfermement, d’autres osent évoquer une victoire possible. Mayco Naing reconstruit ainsi dans Barricades un type de barricades particulier : la légende voulant que passer sous des jupes de femmes prive les hommes de leur virilité, des manifestant.es ont suspendu lors de la révolution de Printemps des jupes au-dessus de leurs barricades, empêchant ainsi les miliaires de franchir cette frontière de bois et de tissu. Dans une petite pièce du Poush, nous faisons ainsi face à ces rondins de bois surmontés de jupes de toutes les couleurs.

Cette importance du tissu dans la révolution apparaît dans d’autres œuvres. Dans Montrous clarity, Chuu Wai peint des silhouettes de femmes sur des tissus traditionnels. Le choix du matériau est une allusion à cette histoire de barricades et souligne la façon dont les femmes utilisent les superstitions à des fins politiques.

D’autres objets quotidiens que le tissu font l’objet de récupérations politiques et artistiques. Li Li k. s. a. expose dans Tan Bone – Sound Pot des woks dont la matière métallique a été utilisée par les manifestant.es pour faire du bruit et clamer leur révolte. Un QR-code permet aux visiteurs et visiteuses d’écouter sur leur téléphone des sons de manifestations. Cet accrochage permet de finir sur une note d’espoir et d’engager tout le monde à se battre.

 

Exposition Doh ayay

Du 4 au 25 février 2023, les jeudis et samedis de 15h à 18h30, sur réservation, visites guidées tous les mercredis de 18h45 à 19h45, sur réservation

POUSH

153 av. Jean Jaurès


93300 Aubervilliers

 

Visuels :

Affiche de l’exposition

Galerie

photo 1 : Yadanar Win, Warriors of Myanmar Nway Oo, badges, 2022 © Cyrielle Dagneaud / AAE Chuu Wai, Imaginary trip, peinture acrylique et tissu traditionnel « longyi », 2022 ; photo 2 : Sai ???, Trails of absence, installation, 2022 © Cyrielle Dagneaud / AAE ; photo 3 : Myo Thaw, Burn My Eye, photographies, 2019-2021 © Cyrielle Dagneaud / AAE

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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