
Martin Szekely, le designer qui ne voulait plus dessiner
Lorsqu’il crée la chaise Pi dans le cadre d’une Carte Blanche du V.I.A. en 1983, Martin Szekely est instantanément consacré parmi les grands designers français. Pourtant, à l’écart des paillettes qui attirent les « designers stars » de sa génération, il prend une décision radicale en 1996, qui donne son titre à cette exposition : « ne plus dessiner ».
Précis dans ses énoncés, homme de l’écrit plus que de la parole, Martin Szekely se définit finalement avant tout par les rôles et les étiquettes qu’il refuse d’endosser. Ainsi, s’il se réfère volontiers aux figures du minimalisme, tel Donald Judd, ou à la formule less is more, il n’est pas pour autant un artiste, puisque son attachement à la fonctionnalité des objets le replace in extremis dans la sphère du design.
Pas si simple… car d’un autre côté, cet enfant de la balle s’inscrit en marge du design industriel, qui vise une production de masse, réfutant une filiation trop évidente avec les utopies du Bauhaus ou des radicaux italiens pour lui préférer des éditions en série limitée ou uniques destinées à des collectionneurs particuliers ou des commanditaires privés. (La galerie Kreo présente actuellement jusqu’au 23 décembre une exposition de sa série « units »).
Qu’il s’agisse de trois traits de crayon esquissés sur un coin de nappe ou d’un dessin industriel très technique, le dessin reste une émanation hautement subjective de son auteur, ce que Martin Szekely réprouve. Pour lui, créer un objet, et surtout un meuble, c’est d’abord rechercher sa définition élémentaire dans ce qu’elle a de plus neutre. Qu’est-ce qu’une table ? Un élément qui isole du sol. Cqfd.
Cette mise à distance de la subjectivité rejoint aussi la volonté de s’adapter aux exigences techniques des matériaux les plus pointus, que notre designer associe selon des assemblages inédits afin de magnifier les propriétés spatiales et fonctionnelles de ses créations. Ainsi, le rangement Cork a été créé avec du liège, du corian et du nylon, prenant en compte ses propriétés acoustiques, ce qui réduit le meuble à sa nature fondamentale : celle d’une boîte.
Scénographe de l’exposition, Martin Szekely présente également ses productions industrielles, en marge de ses projets personnels. Vous côtoyez ainsi ses créations lorsque vous buvez un Perrier dans le verre de la marque, ou lorsque vous vous asseyez dans un fauteuil à deux places au cinéma mk2 Bibliothèque.
Designer du retrait, de la soustraction, Szekely nous coupe le souffle par l’élégance sobre de ses meubles. Une ascèse qui résonne d’autant plus fortement face à l’état du monde actuel. « Refroidir », nous tance-t-il. Nous arrêter un instant dans la quête au toujours plus, à la brillance, à l’émotion gratuite. Un programme on ne peut plus politique : nous voici conviés à l’économie des sens, à l’épure, à la satisfaction du juste besoin. Une leçon d’humilité.
« J’ai l’impression quelquefois qu’il faut avoir un culot monstre pour encombrer l’espace. »
Visuels : en une, étagère Tino, aluminium, acier, Nextel, 2009 © photo : Rossana Nencioni
Martin Szekely sur son bureau Heroic Carbon, 2010 © Fabrice Grousset
Rangement Cork 3, simple boxes, liège, corian, nylon, 2009 © Fabrice Grousset
des plats, verre, 1999-2000 © Christoph Kicherer
Stonewood One, pierre, acier, 2005 © Fabrice Grousset