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Yvonne Baby, journaliste et autrice, est décédée ce mercredi 3 août

Yvonne Baby, journaliste et autrice, est décédée ce mercredi 3 août

04 August 2022 | PAR Rachel Rudloff

Yvonne Baby, journaliste, critique et autrice française, est décédée ce mercredi 3 août 2022 à l’âge de 90 ans. Retour sur les étapes marquantes de sa vie, et le rôle important qu’elle a joué pour le journalisme culturel. 

Pionnière du journalisme culturel 

En 1971, alors qu’elle est déjà reconnue comme journaliste et romancière, elle est choisie par Jacques Fauvet, nouveau directeur du Monde pour s’occuper d’un service qu’il vient de créer : le premier “service culturel”. Il le met alors sur le même pied que les services “Étranger”, “Politique”, ou “Économie”. En plus d’être pionnière d’un service neuf dans l’un des premiers médias généralistes, cela fait d’elle la première femme cheffe de service du Monde (dans une rédaction féminisée seulement à 11%). 

Yvonne Baby s’est toujours revendiquée avant-gardiste sur la place des femmes dans le travail. En parlant de sa jeunesse, elle confie à Arianne Chemin en 2014 “C’était un entre-soi avant-gardiste, où les filles n’imaginaient pas vivre sans avoir un métier“. Claire Devarrieux, qu’elle avait recrutée dans son service souligne aussi qu’elle ne s’est jamais vraiment revendiquait féministe dans un sens militant ou radical “la seule chose qui la mettait vraiment hors d’elle c’était d’être moins bien payée que les chefs de service hommes“, même si “elle a subi beaucoup d’avanies machistes au Monde, elle a connu la drague systémique, parce qu’elle était belle et intelligente” . Encore aujourd’hui, les hommes ne peuvent pas s’empêcher de souligner sa beauté ou commenter la taille de ses jupes. 

Avant-gardiste, elle l’était aussi dans sa manière de travailler. Amie des réalisateurs de la Nouvelle Vague, en particulier Godard, elle invente un moyen de faire un journalisme libre, nouveau. “Elle était si curieuse de tout, qu’elle pouvait mordre à nos idées les plus farfelues. Mais ensuite, il fallait les réaliser” se souvient Colette Godard. Ses capacités journalistiques vont l’emmener à interviewer les plus grands (entretiens que l’on peut retrouver dans Quinze hommes splendides, 2008, Gallimard) : Bergman, Buñuel, Bresson, Godard, Fellini, Handke, Truffaut, Yamamoto, Pierre Boulez, Orson Welles… Amatrice de cinéma et de littérature, elle sait pourtant faire preuve de diversité culturelle et d’éclectisme. “Aucun grand artiste ne s’est confié avec une telle profondeur qu’à Yvonne Baby.” rappelle son ami Gilles Jacob. On raconte qu’au Monde, deux entretiens d’elle par an changeaient tout à la valeur du service. Il faut dire qu’elle a été élevée par les avant-gardes. Née le 18 août 1931 dans le Pas-de-Calais, fille de l’historien Jean Baby, elle est surtout élevée par sa mère et Ruta Assia et son beau père, historien du cinéma, Georges Sadoul, qui va lui faire côtoyer Buñuel, Aragon, Cartier-Bresson, Elsa Triolet très tôt. 

Mais cette liberté et cette franchise, qui vont faire d’elle une “journaliste radicale” vont aussi lui coûter sa place au Monde. À l’arrivée d’André Fontaine comme nouveau directeur en 1985, il la trouve trop élitiste – débat qui agite d’ailleurs encore tous les journaux culturels. Elle doit quitter la rédaction en 1986, d’un accord plus ou moins commun. Claire Devarrieux et Hervé Guibert démissionnent en même temps, en soutien. 

“Comme un pont entre deux siècles que tout sépare”

Si sa carrière en tant que journaliste va s’éteindre après le Monde, comme le souligne la jolie formule de Claire Devarrieux «Yvonne connaissait la terre entière, mais se tenait résolument à l’écart de toute vie parisienne et mondaine. Elle était une fille du Monde, pas une femme du monde.», elle ne va pas moins en rester une romancière prolifique. Déjà remarquée en 1967, à seulement 36 ans, comme gagnante du prix Interallié pour son premier roman Oui, l’espoir (1967, Grasset), elle continue de publier des récits autour des désillusions de deux générations – la sienne et celle de ses parents – ou de son expérience au Monde (La vie retrouvée ou À l’encre bleue nuit). 

Née dans les années 30, d’une mère d’origine juive et polonaise, elle se retrouve comme le titrait Christophe Colinet en 2017 “Comme un pont entre deux siècles que tout sépare ». Lors de l’entretien à l’occasion de la sortie de son roman, Nirvanah, elle se confie sur son rapport au temps et à l’Histoire « Je crois que, inconsciemment, je voulais transmettre quelque chose de l’autre siècle. […] Pour transmettre, il faut rendre les choses inconnues tangibles. Il faut faire ressentir l’inconnu. […] Je suis soucieuse de ne pas faire table rase du passé. Il faut s’intéresser au passé non pas pour le reproduire, mais en tant qu’exemple pour avancer. Sans m’en rendre compte, pour mon roman, si j’ai mis ensemble une grand-mère et sa petite-fille, si j’ai mis en lettres cette confrontation, c’est pour penser à ce que pourrait être l’avenir si on se décidait à le construire. »

Visuel : couverture de Nirvanah d’Yvonne Baby

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Rachel Rudloff

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