Politique culturelle
“Paye ta culture” contre le sexisme et le “rideau de verre” dans la culture

“Paye ta culture” contre le sexisme et le “rideau de verre” dans la culture

20 January 2017 | PAR Léa Sanchez

“Moi j’ai vraiment besoin d’elle pendant les 3 prochaines semaines car elle est mignonne et elle a des gros seins !”. A travers les témoignages qu’elle publie, la page Facebook Paye ta culture, créée il y a quelques jours, vise à dénoncer le sexisme dans le domaine de la culture. Un milieu touché lui aussi par les discriminations à l’encontre des femmes.

« “Vous savez, vous n’arriverez à rien dans cet établissement, vous faites trop fille !” Réponse du conservateur d’un musée après lui avoir demandé d’évoluer dans mon poste » ou encore “Ce n’est pas rendre service aux femmes que de leur confier un CDN [Centre Dramatique National], elles n’y sont pas préparées” (Le directeur d’un théâtre)”. Depuis le 16 janvier, sur Facebook, Paye ta culture diffuse des témoignages de comportements sexistes ou de discriminations subies par les femmes dans le milieu de la culture. Quatre jours après sa création, la page rassemble plus de 1 600 abonnés.

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Barbara et Félix l’ont créée avec des militants du mouvement HF, qui lutte depuis près d’une décennie pour l’égalité femmes/hommes dans le milieu de la culture. Eux sont chargés de réaliser une étude sur les inégalités entre hommes et femmes dans ce secteur. “Notre étude est basée sur des statistiques, mais aussi sur des données qualitatives, à travers des questionnaires et des entretiens. Pour élargir la récolte, nous avons pensé à la création d’un espace de recueil de témoignages en ligne”, expliquent Barbara et Félix.

Contre “l’illusion collective” de croire que la culture serait épargnée par le sexisme

Lorsqu’ils rencontrent des militant-e-s du Mouvement HF naît peu à peu l’idée d’un espace de sensibilisation. Dans la foulée de Paye ta shneck, le Tumblr créé en 2012 pour témoigner du harcèlement sexiste dans l’espace public, de Paye ta Fac, qui dénonce le sexisme ordinaire au sein des universités, ou encore de la page consacrée aux médias Paye ton journal, Paye ta culture vise à recueillir des témoignages de sexisme dans les métiers de la culture : spectacle vivant, cinéma et audiovisuel, livre et lecture, arts plastiques et visuels, patrimoine… “Quand on s’est lancé, on avait déjà récolté quelques témoignages. En vingt-quatre heures, nous en avons reçu une dizaine”, indiquent les deux fondateurs de la page, contactés par Toute la culture.

“Nous avons constaté que le sexisme est présent dans tous les secteurs professionnels. C’est une illusion collective de croire que le secteur culturel serait moins touché que les autres”, expliquent-ils : “Il est communément admis que le secteur culturel entend promouvoir la démocratie, l’ouverture sur le monde ou encore la cohésion sociale, il est vu comme un milieu plus progressiste que les autres alors qu’en fait il ne l’est pas nécessairement”. Barbara et Félix mettent en avant la concentration des femmes dans certains métiers comme ceux liés à la diffusion et à l’administration, les inégalités de salaire, le faible nombre de femmes accédant à des postes de pouvoir…

Des discriminations envers les femmes marquées

Selon la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), on ne trouve en effet que 13% de femmes à la tête de centres chorégraphiques nationaux, 15% pour les centres dramatiques nationaux et régionaux et… 0% pour les théâtres nationaux. Le rapport de l’Observatoire des inégalités entre les femmes et les hommes établi par le ministère de la Culture et de la Communication montre également qu’une structure labellisée dirigée par une femme est souvent dotée d’un budget moindre : au 1er janvier 2016, 95% de celles qui disposent d’un budget supérieur ou égal à 10 millions d’euros ont à leur tête un homme.

“Le problème du sexisme n’existe pas qu’aux postes de direction et dans les grandes institutions : il existe aussi une inégalité d’accès à la programmation”, ajoutent les cofondateurs de Paye ta culture. Selon les données de la SACD, on ne trouve que 30% de femmes parmi les artistes impliqués dans les spectacles programmés par les centres dramatiques nationaux et régionaux. Un pourcentage qui diminue à 23% pour les théâtres nationaux. Et ce, alors que les femmes représentent environ 60% des étudiants des écoles de l’enseignement supérieur Culture (52% en spectacle vivant).

Au-delà des chiffres, les fondateurs de Paye ta culture veulent dénoncer les comportements sexistes auxquels sont confrontées les femmes au quotidien : ces petites phrases, remarques ou comportements déplacés qui n’épargnent pas le milieu culturel. “C’est un moyen de sensibilisation qui permet de répondre à ceux qui nient le problème. Peut-être que montrer que les femmes témoignent publiquement peut mettre la pression sur certains hommes aux comportements sexistes”, espèrent Barbara et Félix : “cela peut aussi aider certaines femmes à mettre un mot sur des comportements, à prendre conscience qu’elles sont confrontées à cela”.

Une action soutenue par le mouvement HF

Les fondateurs de Paye ta culture considèrent leur action comme un “outil” mais croient en une action plus globale, comme celle du mouvement HF. La page est “co-administrée avec les militants du mouvement”, expliquent Barbare et Félix : “on leur a présenté notre idée et ils étaient très motivés”. Paye ta culture a même vocation à devenir un outil dans la lutte du mouvement HF contre les discriminations et les inégalités entre femmes et hommes. Depuis sa création il y un peu moins de dix ans en Rhônes-Alpes, le mouvement s’est étendu dans une petite quinzaine de régions françaises. Il organise notamment les Journées du Matrimoine, qui visent à valoriser l’héritage d’artistes féminines du passé.

Pour Anne Morel, qui dirige depuis 20 ans la compagnie Sans titre et a co-fondé le collectif HF Poitou-Charentes ainsi que le mouvement interrégional HF, créer des pages comme Paye ta culture permet “d’agiter les stéréotypes” contre le déni : “ce qui est choquant, c’est que la culture reproduit les inégalités, alors qu’elle devrait travailler à leur disparition”.  “Je suis metteuse en scène et malgré mon niveau d’études, mes compétences, mon niveau artistique, on remarque qu’on avance moins vite que nos camarades”, pointe la comédienne.  En cause : plusieurs facteurs, comme “l’organisation de la vie familiale qui n’est pas du tout travaillée dans la culture” mais aussi le “réseau” entre hommes qui perpétue les inégalités. Pour elle, “il y a une régression” et “les mentalités ont reculé”. “La culture est censée être une fenêtre sur le monde et elle est majoritairement faite par des hommes blancs”, regrette Anne Morel.

 Visuel : capture d’écran de la page Facebook de Paye ta culture 

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Léa Sanchez

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